dimanche 22 septembre 2019

How-Weather

Valérie m'a gentiment taquiné. Tu vas continuer ton blog? J'ai dit non, pas tout de suite... J'ai menti, enfin, je me suis menti à moi-même... On est vite accro! Bonne lecture!

Eric fut le premier à m’en parler. Il l’avait téléchargée peu de temps après l’achat de son nouvel i-phone. L’application Temps-pour-Soi  (How-Weather dans sa version américaine) nécessitait, pour être réellement opérationnelle, un operating system de dernière génération, ce dont justement le nouvel i-phone 2001 était doté (la référence au film était un peu too much, mais Apple n’a jamais eu peur de rien…). 
Un soir où nous dinions sur la terrasse, chez moi, le repas s’étant prolongé, le plaisir de poursuivre nos échanges en extérieur à la nuit tombante nous avait incités à enfiler une petite laine. « C’est qu’il commence à faire frisquet ! » énonçais-je.
« Qu’à cela ne tienne !!! » dit Eric en brandissant fièrement son téléphone, « on va changer ça ; tu veux combien de degrés en plus ? »
Et, joignant le geste à la parole, il tapota sur son écran, la température ambiante se réchauffant presqu’instantanément pour atteindre un confortable 22 degrés Celcius…
Bluffé ! Et un peu honteux… Comment avais-je pu passer à côté de cette info avec laquelle la marque à la pomme croquée avait fait le buzz… et 30 millions de dollars dès la première semaine d’exploitation. Temps-pour-Soi avait favorisé la vente des « 2001 » et, grâce au 9,99$ par mois d’abonnement à l’appli, rempli les caisses de la firme de Cupertino.
Il faut dire que c’était quelque chose, cette appli. Grâce à elle on pouvait, avec une géolocalisation au mètre près, choisir sa météo en écart à la situation constatée. Il pleuvait, on pouvait demander, et obtenir, une éclaircie de quelques heures. Il faisait froid, comme ce soir-là sur ma terrasse, et on programmait aussitôt une augmentation de la température ambiante. Bingo !!! Soirée méditerranéenne garantie ! 
Comment était-ce possible ? Je ne saurais pas trop vous dire. Parait que l’action combinée de plusieurs satellites et des antennes relais 9G des opérateurs permettaient d’influer sur le climat, très localement, avec un rayon d’action d’environ 50 mètres autour de soi. En tout cas, ça marchait, et même rudement bien ! 
Les riches acquéreurs du « 2001 » (pas loin de 3000$ la bête, quand même) étaient ravis, sous le charme. Etre maître du temps qu’il fait, l’humanité en rêvait, et ce rêve, Apple l’avait rendu accessible à tous… ou presque !
Eric n’eut pas beaucoup d’efforts à faire pour me convertir ; j’achetai le « 2001 » dès mon retour sur Le Chesnay, à l’Apple store de Parly2. L’été suivant fut idyllique : nuits pluvieuses et donc fraiches, journées ensoleillées, douces soirées sur un mode andalou, le Morbihan devenait un vrai petit paradis.

Comme d’habitude, les groupements écologiques ne tardèrent pas à s’emparer du sujet pour le dénoncer, subissant évidemment les railleries des « bronzés d’Octobre » comme se dénommaient les associations de défense du « web libre ». Les arguments verts étaient cependant recevables : le nombre grandissant d’utilisateurs allait inévitablement peser sur les équilibres naturels, et l’évolution générale du climat terrestre continuer dans le mauvais sens. Notre planète avait déjà accusé un réchauffement de 3 degrés en 20 ans et les scientifiques les moins alarmistes tablaient sur 2 ou 3 degrés de plus d’ici la fin de la prochaine décennie. De quoi flipper, tout de même.
Apple répondait à ces critiques en arguant du fait que son application phare n’autorisait que d’infimes variations, locales et dans un spectre d’utilisation tenant compte des données d’entrée, forcément naturelles, et des prévisions de sortie avant modification. On ne jouait donc que sur une moyenne, et le changement de temps demandé par l’utilisateur était obligatoirement et mathématiquement compensé ensuite. Le tout rééquilibrant la moyenne calculée avant intervention (le principe du « moyennage », dixit Apple qui ne reculait devant aucun néologisme censé rassurer, sans se rendre compte de son jeu de mot).
Des experts du GIEC contestèrent évidemment ces propos : rien ne prouvait qu’une moyenne « climatique » établie a posteriori puisse donner les mêmes résultats que la moyenne initialement prévue. Par exemple, une pluie diurne avait-elle le même impact que sa petite sœur télécommandée pendant la nuit suivante ? Bien sûr que non, s’insurgeaient les défenseurs d’une nature non influencée !
En tout cas, Temps-pour-Soi vit son succès croitre et embellir pendant toute cette période de débats politiques. Les populations les plus riches (en clair, les retraités CSP+ et quelques grandes fortunes) qui s’établissaient déjà préférentiellement dans les régions littorales, usèrent voire abusèrent de l’appli pour jouir sans entrave de leur temps libre et d’un climat local inespéré. 
Cependant, certains commencèrent à prêter l’oreille aux rumeurs selon lesquelles le mécanisme de « moyennage » pourrait être déporté du lieu de demande de modification climatique vers d’autres secteurs, bien plus éloignés. Ainsi les pluies torrentielles de l’hiver 54 en Auvergne auraient eu, selon les dires de plusieurs célèbres blogueurs écolos, pour origine l’été indien exceptionnel du Finistère Nord, lieu de villégiature de plusieurs grands patrons de la High Tech…
Un parlementaire prit fait et cause pour cette théorie et rédigea une proposition de loi pour que soit interdite l’application Temps-pour-Soi sur tout le territoire européen. 
La loi passa, avec néanmoins quelques amendements déposés par le CPE (les conservateurs progressistes européens) : autorisations ponctuelles données aux agriculteurs et aux professionnels du tourisme, cas d’extrême urgence comme les catastrophes naturelles en cours après autorisation préfectorale.
Ces amendements, les ONG environnementales déclarèrent qu’ils rendaient de facto la loi inopérante et promirent une grande manifestation protestataire à Biarritz.
De leur côté, les particuliers découvrirent bien vite qu’il suffisait de contracter leur abonnement à How Weather depuis les Amériques Unies, pour passer à travers les mailles du filet.
C’est dans ce contexte qu’un zoologiste breton fit une découverte étonnante : les grenouilles, qu’il étudiait dans la plus grande indifférence de ses employeurs de l’INRA et depuis à peu près 25 ans, avaient la capacité de réagir aux ondes émises par les antennes 9G et d’en contrer les effets s’ils étaient supérieurs à un certain niveau. Pour que cette faculté devienne opérante, il suffisait de placer des grenouilles à 100 mètres environ du secteur sollicité par l’appli, dans des bocaux en verre. Lorsque les grenouilles voulaient réagir à une onde néfaste, il leur suffisait de sortir momentanément de leurs bocaux, et aucune modification du temps ne se produisait plus dans la zone …
La nouvelle circula à la vitesse de la lumière sur les réseaux sociaux et bientôt, tous les militants écologiques disséminèrent des grenouilles en bocaux partout le long des côtes.
Ce fut la fin de l’application d’influence sur le climat. Les bugs et mauvais fonctionnements devenaient trop nombreux en regard du coût exorbitant exigé pour son usage.
Partout dans les zones maritimes, les résidents se réhabituèrent aux changements de saisons et y trouvèrent même un plaisir nouveau qui devint rapidement « hype ».
Quant au réchauffement climatique, il se confirma et la hausse de 2 degrés supplémentaires prédite fut effective en 2068.

Apple vient de sortir une nouvelle appli : Temps-pour-Moi. Elle est formidable. Chaque fois qu’elle vous alerte sur un niveau de tension trop bas ou trop haut, vous cliquez sur « rétablir » et vous obtenez des crédits de vie en jours. Je suis sûr que ça va faire fureur. J’ai des copains qui ont déjà suffisamment de jetons pour atteindre les 94 ans.
Pas certain d’avoir envie de payer 3500€ pour ça. 

Je vais réfléchir un peu…

vendredi 30 août 2019

L'appli saisit le Vif

La dernière !!! Merci Serge, pour m'avoir dit "pakap" et poussé à me creuser un peu la cervelle pendant cet été. A l'année prochaine, alors ?
Bonne lecture !

« Non ! Ce n’est pas possible ! Ils ne peuvent pas me faire ça !!! »
Pas la moindre ligne délivrée dans la boîte mail, rien ! C’était quoi qui avait merdé ? Une panne de réseau, une mauvaise adresse, un serveur en rideau ?...
Six mois plus tôt, après avoir obtenu l’accord de son éditeur, il avait passé un contrat avec un grand quotidien du matin : une nouvelle par semaine pendant tout l’été.
C’était super bien payé et pas trop compliqué et Il avait déjà au moins deux ou trois histoires en réserve. Il compléterait… 
Mais la tâche s’avéra plus ardue qu’escomptée. La chaleur caniculaire de cet été là ralentissait peut-être ses neurones, ou l’ambiance de vacances n’était-elle pas propice à l’imagination créatrice, en tout cas, trois semaines plus tard, il craignit de ne pouvoir honorer son engagement.
Heureusement, il en parla à Serge, un pote branché sur les derniers développements informatiques et autres nouveautés en IA*, qui lui suggéra d’aller chopper (ce furent ses termes) une application d’aide à l’écriture sur le « grey-web ». Un truc pas tout à fait légal, mais il ne risquait pas grand-chose, en fait. 
L’appli s’appelait « l’appli ». Ça lui plut. 
Sa mise en main fut d’une facilité déconcertante. Il suffisait de décrire un contexte général, de transmettre en pdf de précédents écrits (pour le style perso), de dénommer les deux ou trois principaux personnages à mettre en scène et le tour était joué.
Quelques minutes après, sans doute à cause de la lenteur du réseau russe d’où venait le traitement exécuté par « l’appli », on recevait une nouvelle composée de 1000 mots environ, et qui tenait la mer !!!
Quelques corrections syntaxiques, et encore, des ajouts que la lecture du texte original permettait de suggérer, et le journal pouvait imprimer la dernière création d’Henry Troillat (il s’était affublé de ce pseudonyme juste pour le journal, sur les conseils de son agent, et ça l’avait fait bien rigoler).
Le « As time goes by » métallique de son téléphone retentit ; c’était son agent.
« Dis donc, Georges (le prénom de son premier nom d’artiste, Georges Emprun, son vrai prénom qui plus est), c’est quoi ce foutu bordel ? » Son agent devenait vite grossier quand il perdait le contrôle… « Le journal vient de m’appeler. Il résilie notre contrat, et pire, il refuse de payer les nouvelles déjà parues ! Ils disent qu’elles ne sont pas de toi et que l’auteur, le vrai, vient de réclamer des dommages et intérêts compensatoires. »
Georges resta sans voix. Il ne pigeait pas, dit à son agent qu’il allait s’en occuper et raccrocha.
Comment contacter les éditeurs de l’appli, déjà ? Il y avait bien l’adresse mail pour l’envoi des éléments de construction des nouvelles ? C’était tout ; les échanges sur le « grey-web » n’étaient pas particulièrement favorisés ni souhaités.
Il écrivit, demandant à comprendre ce qui se passait et à ce que ses droits soient rétablis rapidement. Rien, pas de retour, le « black-out » !!!
Dans les jours qui suivirent, l’affaire commença à fuiter. Les réseaux sociaux du « dark side » furent les premiers à faire le buzz, et bien sûr, ça finit par se savoir dans des média plus « officiels ». 
Plus de fric, plus de respectabilité. Merde !!! Il passait pour un con, tout ça à cause de cette p. d’appli. Quelle idée il avait eue, au lieu de se casser un peu le ciboulot pour créer ses propres histoires ! Merde, merde et merde !!!
S’en suivit une forte déprime. Il rasait les murs, voire ne sortait plus du tout. La honte, quoi.
Son agent n’appelait même plus. Seul ! Et il finit par craquer…
« Encore un suicide chez nos grands auteurs. C’est au tour de Michel Houellebecq, prix Goncourt et un de nos romanciers les plus « bankables » de mettre fin à ses jours. L’écrivain, selon ses rares amis proches, avait sombré dans un profond désarroi suite aux allégations de plusieurs sources concordantes, l’accusant de plagiat et d’avoir, dans les derniers temps, fait appel à des « nègres » virtuels pour soutenir une créativité défaillante. Après avoir protesté et déclaré qu’il poursuivrait les diffamateurs en justice, il s’était progressivement muré dans le silence, refusant toute interview ou même contact avec les journalistes.
Âgé de 68 ou 70 ans selon ses biographes, Michel Houellebecq a connu une carrière de romancier à succès, essayiste, poète et même cinéaste depuis près de 30 ans. La Présidente Hidalgo a tenu à rendre un vibrant hommage à l’écrivain, en y associant Georges Emprun, ami du précédent et mort lui aussi, quelques heures plus tôt, dans des circonstances étrangement similaires ».

*IA : Intelligence artificielle

vendredi 23 août 2019

Un avenir incertain

Avant dernière nouvelle du challenge avec Serge. Pour faire du mieux possible, j'ai suivi les conseils  avisés de Valérie et Vincent (merci à eux) et ai fait en sorte d'être plus concis. Pas simple, pour moi! Mais j'ai tout de même réduit mon texte originel de 9,8% (selon les statistiques de Word). A vous de juger. Bonne lecture :

« Jean, n’oublie pas de descendre le vieux secrétaire du Grand-Père ! Tu as promis de faire du rangement là-haut, je te rappelle… ». 

Il se rappelait. 

Ce meuble, il le revoyait, dans la pièce que Joseph Renaudon avait transformée en bureau, placé contre le mur opposé à la porte d’entrée, à côté de sa table de travail. Le secrétaire et le dos un peu vouté de son Grand-Père ne faisaient plus qu’un dans son souvenir.

La table ? Il n’était pas très sûr de ce qu’elle était devenue. Peut-être son frère l’avait-il récupérée au moment de la vente de la maison ? 

Lui avait gardé le secrétaire, sans bien savoir à quoi il pourrait servir. Et il n’avait pas su. 

Sa femme Julia non plus, c’était le moins qu’on puisse dire ! 

« Moche, vieux, pas notre style, peut-être en le repeignant… »

Il l’avait remisé au grenier. Maintenant, avec l’arrivée d’un petit fils, il allait devoir transformer leur grenier en chambre, pour le petit bonhomme. 

Exit, le secrétaire ! Allez hop, du balai !

Le meuble s’avéra moins lourd que l’idée qu’il s’en faisait. Il le descendit sans trop d’effort par l’escalier à pas japonais et le déposa au milieu du couloir, pour une petite pause quand même. Il sourit : pas si lourd, le secrétaire, mais moins vaillant qu’autrefois, le déménageur ! 

La porte inférieure s’entrouvrit. Dedans, rien, sauf les deux tablettes divisant en trois le volume de rangement. Machinalement, il referma la porte et donna un tour de clef, puis tira sur la petite poignée en bois sculpté du tiroir supérieur. Là non plus, rien… 

Ah si, tiens ! Le fond du tiroir était recouvert d’une feuille de papier en épousant presque le contour. Avec l’ongle de son index droit, il parvint à attraper la feuille par le milieu d’un des côtés et réussit à l’extraire sans la déchirer. Elle était un peu jaunie par le temps et un des angles était abîmé et noirci, comme si on avait cherché à brûler la feuille, puis renoncé, allez savoir pourquoi.

Sur sa face non visible dans le tiroir, il découvrit quelque chose d’imprimé. Des mots, des lignes de mots, environ une demi-douzaine de mots par ligne, le tout recouvrant la feuille en formant comme un grand rectangle gris.

« Impression en mode justifié » pensa-t-il à haute voix. « Lucida handwriting - taille de police : 10 - majuscules - italique » rajouta-t-il avec un brin d’autosatisfaction, cette fois tacitement. Ses connaissances professionnelles d’imprimeur avaient pris le dessus sur son étonnement, pendant quelques secondes.

« Bon. Voyons. Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Il entreprit de lire cette étrange juxtaposition de termes sans relation logique apparente :

 

JOSEPH AVIATION VICTOR-HUGO CHAPEAUX BUICK ACCIDENT ANTIBES VACANCES ROBERT COMMUNALE TABLEAU-NOIR PARIS …

 

Le prénom de son Grand-Père démarrait la série. Étonnant ! Un lien avec les mots suivants ?

Oui !!! Il avait été pilote d’avion. Victor Hugo ? Bingo ! Joseph lui récitait des poèmes tirés de la Légende des siècles quand il était petit, comme Après la bataille : « Donne lui tout de même à boire, dit mon Père » …

Les chapeaux !!! Chaque fois qu’il allait en vacances chez ses Grands-Parents, à Antibes, Joseph l’emmenait à Juan-les-Pins pour lui acheter un nouveau couvre-chef, plutôt une casquette d’ailleurs dans son souvenir de gosse.

Il allait continuer son déchiffrage, sauf que, sauf que… Joseph était bien mort dans un accident de voiture, une Buick Skylark Sedan, et ne pouvait donc pas être l’auteur de ces mots, ou alors il était voyant, ou ressuscité. Et puis, un peu plus loin, il lut :

 

BRADBURY ANTIGONE WELLES LUGE REVELATION BAC JANSON

 

Là, ça le concernait directement, et bien après la mort du Grand-Père.

Sa découverte de la science-fiction, d’Anouilh, de Citizen Kane, sa prépa à Janson de Sailly … Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qui avait écrit tout ça ? Il chercha instinctivement le dernier mot de la page, mais celui-ci avait disparu avec le coin brûlé. Alors, avant même de remonter plus haut, un vertige le prit, sa vision se brouilla, il se mit à trembler et la feuille lui échappa des mains.

Il comprit d’un seul coup que cette feuille contenait toute sa vie, en une sorte de code morse, mot après mot, ligne après ligne. Pourquoi, comment, il l’ignorait, mais cette feuille lui était adressée, destinée !

Ne pas céder à la panique. Qu’allait-il faire ? Ramasser la feuille, la lire attentivement pour identifier tout ce qu’il avait déjà vécu, et passer le cap en plongeant alors dans son propre avenir ? Chercher ensuite à décoder les mots, les enchainements de situations énoncées pour essayer de saisir ce qui lui surviendrait, au fil des ans.

Non, non, non !!! C’était fou. Il ne fallait pas. Mais la curiosité, hein, la curiosité !

Il prit une décision : attendre, prendre le temps. 

« Prendre le temps… » Il rit intérieurement : la formule était bien adaptée aux circonstances, vraiment. 

Puis, de nouveau sérieux, il plia la feuille pour ne pas voir les lignes et la remit dans le tiroir. Après une bonne (pas sûr !) nuit de sommeil, il verrait.

Il se réveilla assez tard. Le réveil projetait au plafond 10 heures 04 en chiffres rouges. 

Il s’était longtemps retourné dans son lit, il croyait même se souvenir d’un « 03 : 44 », puis avait dû sombrer dans un sommeil comateux au petit matin. 

Il s’obligea à ne pas courir pour rouvrir le tiroir, se leva en affectant une sérénité qui l’avait pourtant abandonné dès qu’il avait ouvert les yeux, se dirigea vers la salle de bain et prit une douche chaude. Allez ! Cette fois, il pouvait se donner le droit d’être fébrile et de déplier à nouveau cette maudite feuille.

Arrivé dans le couloir, son cœur accéléra ; il le sentait battre.

-        Julia ? Chérie ? Où est le secrétaire de Grand-Père ?

-        Parti, Dieu merci ! Je l’ai mis hier soir sur la rue, pour qu’il dégage ce matin avec les encombrants.

-        Parti ? C’est pas vrai ! Déboussolé, Jean avait crié ces derniers mots.

-        Allez, mon Amour, smile !!! Comme tu le dis souvent quand tu jettes des vieux trucs à moi : « Du passé faisons table rase » …

 

vendredi 16 août 2019

Equilibre social et pulvérisation

Vendredi 16 Août... 

Elle se réveilla avec le sentiment que la chaleur en était la raison; ou peut-être était-ce la lumière. Elle se déplia lentement, pour se laisser envahir par cette agréable moiteur du petit matin. C’était peut-être le seul moment de la journée qu’elle considérait n’appartenir qu’à elle. Elle sentait la vie parcourir tout son être. De recroquevillée, pendant la nuit, une façon de se protéger du froid, elle passait à cet état de total épanouissement, de plénitude. Comme si, avec les premières lueurs, elle renaissait à la vie.
Il lui semblait que son corps s’étirait jusqu’à s’exposer tout entier aux chaudes caresses des rayons du soleil, après l’humidité et la chaleur de l’aube. A côté d’elle, elle observa sa sœur faire de même, touchée à son tour par la lumière matinale. 
Et petit à petit, mais assez vite cependant, c’est toutes les sœurs de la communauté qui célébrèrent cette aurore bienfaitrice. A présent, elles étaient toutes prêtes. Il allait falloir se mettre au travail. Elle participait à une entreprise dont la raison sociale pourrait s’énoncer comme suit : import-export à vocation écologique. Au sein de la collectivité, elle avait avec d’autres, beaucoup d’autres, le rôle suivant : il s’agissait pour elle de capter les ressources disponibles et, par un rapide et efficace processus de transformation dont le secret vital était détenu depuis des temps immémoriaux par la communauté, de délivrer une énergie utilisable à la survie non seulement de son groupe mais aussi, dans la mesure du possible, des groupes voisins. Comment cela s’effectuait-il, elle n’en avait pas idée, mais elle savait cependant ô combien son activité propre contribuait au bien-être de l’ensemble. Bien sûr, des spécialistes en bioénergétique auraient été en mesure de lui expliquer tout cela, mais elle préférait s’en tenir à sa connaissance superficielle du mécanisme en jeu et à sa conviction un peu romantique du sujet, qui était que par leur action, elle et toutes ses consœurs contribuaient au bien commun.
Tout n’était pourtant pas rose dans un monde parfait. Il y a deux ou trois ans déjà la communauté avait dû subir des coupes sombres dans sa structure. Une croissance excessive, pouvant amener à la rupture de certaines branches moins prospères, moins « saines », avaient justifié la première opération « d’élagage ». Pour la seconde réduction d’effectif, celle mise en œuvre en fin d’année dernière, la raison en était moins compréhensible, moins évidente. Peut-être s’agissait-il cette fois d’une nuisance indirecte, leur trop rapide expansion étant susceptible d’avoir des conséquences sur le bon équilibre des petits producteurs situés dans leur environnement immédiat. La communauté n’avait clairement pas vocation à faire trop « d’ombre » aux autres, amenuisant ainsi leur propre développement et les affaiblissant involontairement. 
Cette nouvelle taille au sein des effectifs n’avait pas été sans suite.
Pas loin d’elle, elle pouvait constater les dégâts, comme si une maladie dégénérescente touchait à présent des sous-groupes entiers de condisciples.
Perte d’énergie, incapacité à recouvrer la force nécessaire au travail bien fait… Était-ce seulement de la démotivation, ou fallait-il craindre que le mal soit plus profond ?
Ça finissait par se voir, physiquement : des sœurs aux faces pâles, blanchâtres, parfois même des corps boursouflés, des postures de repli sur soi, comme une sorte de rétractation involontaire qui en dirait long sur l’état psychique général de nombre d’entre-elles.
Certaines avaient fini par quitter le groupe, sans être remplacées. Et il en tombait encore sans que l’on sache bien quoi faire pour arrêter cette hécatombe. 
Bien sûr, les frères d’en bas avaient veillé à ce que cela ne nuise pas aux bonnes relations avec les groupes voisins les plus proches, mais la situation générale était vraiment critique.
Dieu merci, deux facteurs vinrent au secours de la communauté. 
Le premier était manifestement endogène : les sous-groupes les plus résistants reprirent lentement le dessus, comme si le bon fonctionnement des camarades les plus robustes avait provoqué une stimulation chez les autres. Cette perception d’une capacité à réagir semblait qui plus est « contagieuse » et les nouvelles branches de la communauté se développaient avec un dynamisme réconfortant. 
Le second fut extérieur et totalement imprévu : une aide tonique à la croissance vint d’on ne sait où, tombant du ciel comme une pluie salvatrice. 
Toujours est-il que même les plus atteintes furent revigorées et reprirent leur travail de transformation et diffusion des ressources énergétiques avec enthousiasme, avec un naturel élan, comme si rien ne s’était passé.

- Ah ! Merci d’être venu, Martin ! Je t‘ai appelé parce que, tu vois, mes chênes n’ont pas très bonne mine. Regarde les feuilles, t’en penses quoi ? 
- Ça ? C’est de l’oïdium, sûr !
- Et alors, on peut faire quelque chose ? Ça a commencé à la repousse, après ton élagage de début Décembre. Y’a deux ans, je ne crois pas me souvenir qu’ils avaient eu ce truc, l’odium…
- L’oïdium ! C’est un champignon parasite, il prend l’aspect d’un… c’est comme un feutre blanc, regarde. Comme il a fait chaud et humide au mois de Mai… ça s’est développé.
- Mais je fais quoi, moi ? Ils ne vont pas crever, quand même ?
- Nooon ! Va chez Gamm-vert, tu achètes un paquet de soufre à mouiller, et tu traites dès ce soir, il n’y a pas trop de vent et la météo ne prévoit pas de pluie pour demain… Tu verras, ils vont se rétablir d’eux-mêmes, c’est costaud, les chênes !
- Et les autres arbres à côté, il n’y a pas de risque ?
- Les chênes ont tout pris, si ça se trouve, ils ont même protégé les autres, en fait. Les arbres échangent, il parait ; par les racines, peut-être …
- Donc je traite que les chênes ?
- Oui. Ça suffira largement. Si tu ne trouves pas de soufre, dilue du lait écrémé, ça marche bien aussi. Pulvérise ce soir !!!

Il a fallu balayer pas mal de feuilles mortes, un peu prématurément, mais après traitement, les cinq chênes ont commencé à se rétablir.  Le prunier, implanté à proximité des deux plus grands, donna début Août une belle récolte de quetsches. Assez pour faire une demi-douzaine de pots de confitures de quetsches, à offrir ou à déguster… 
C’est bon, la confiture de quetsches !

vendredi 9 août 2019

Un moyen de sortir et de s'en sortir

Je touche presque au but. Presque... Une nouvelle par semaine sur Juillet et Août, ça veut donc dire qu'il ne me reste plus, après celle-ci (du vendredi 09 Août), que 3 textes à imaginer et faire paraitre. Grâce à toi, Sergio, je vais avoir été écrivain durant 2 mois... si j'arrive à trouver encore 3 histoires qui tiennent la mer, bien évidemment. Bon, à chaque jour suffit sa peine; bonne lecture!

2004 : La route avait été longue. Du Chesnay, lieu de sa résidence principale, jusqu’au Tour du Parc, son village morbihannais de villégiature, il y avait environ 480 km. Il était sorti fatigué du boulot, avec une semaine hyper chargée, un dossier difficile, et une prise de tête avec un collègue… un con ! Mal au crane. 
Le voyage en voiture n’avait évidemment rien arrangé, même si la nécessité de vigilance au volant l’avait distrait pendant environ quatre heures trente de sa céphalée.
Une fois rangé le sac de fringues dans la penderie et celui de la bouffe dans le frigo, il se dit qu’il irait bien voir la mer. Situé à 100 mètres à peine de la maison, le rivage présentait une tentation à laquelle il choisit de céder. La marée haute était passée de trois heures, mais, avec le gros coeff du jour, l’océan atlantique était encore bien présent.
Arrivé près de la cale, il jeta un regard circulaire sur tout le littoral visible ; à droite, au plus loin, on distinguait la pointe de Penvins et sa petite chapelle. A gauche, c’était la rivière de Penerf avec la tour blanche nommée Tour des Anglais. Et puis, toujours à gauche quoiqu’un peu plus centrale depuis son point d’observation, une balise rouge marquant l’entrée de la rivière, avec son feu blanc ou rouge selon le secteur : le Pignon.
La mer était calme, d’huile comme on dit lorsque sa surface, à force d’être sans ride, semble visqueuse. Pas un pet de vent, ceci expliquant cela…
Il respira un grand coup. Ce spectacle simple envahit tout à coup son âme. Il eut l’impression que le paysage qu’il avait sous les yeux l’enveloppait soudainement, comme s’il était pris dans des bras immenses et protecteurs. Sa lancinante douleur s’évanouit instantanément. 
Il fut certain que cela était dû à cette fusion avec un espace qui l’avait accueilli, à ce franchissement. C’était ainsi, oui, qu’il se le représentait, ce moment de grâce, le franchissement d’une porte…
Au point qu’il se demanda, lui si féru de littérature de science-fiction, s’il allait bien retrouver les choses et les gens tels qu’il les avait laissés en partant vers le bord de mer. Il était peut-être passé dans un univers parallèle ? Mais non, rien n’avait changé, rien n’avait disparu, à part sa migraine.

2024 : Oppressé ! Comment mieux dire ? Il respirait difficilement et il lui semblait que son cœur ne battait pas normalement. Un peu d’hypertension, ou beaucoup, sûrement trop ! C’était un peu comme si tout son corps était soumis à une pression excessive, ou supportait un poids trop lourd pour les capacités physiques de l’homme de 70 ans qu’il était devenu.
Ça lui avait pris après cet appel téléphonique. Les enfants, la famille, des problèmes…
Chaque fois que le téléphone sonnait, il craignait le pire. Pourquoi ? Il ne savait pas. Cette sorte de responsabilité lui était venue tardivement, sans qu’il sache en expliquer les raisons. La vieillesse, c’était sans doute ça. Une prise de conscience du risque, des risques, de la finitude et de l’impossibilité d’agir pour qu’il en soit autrement. Terrible ! Oppressant !!! 
Chaque fois qu’il avait ce sentiment de ne plus avoir de maîtrise sur les évènements, il angoissait. Et là, vraiment, on était au max. Il se sentait faible, sans ressort. Pas même capable d’imaginer le moindre dérivatif, d’échafauder une solution pour sortir de cette pénible situation. Rien. Une sourde panique. Une… oppression.
Et puis, les copains avaient appelé. 
D’abord, par Whatsapp, ils lui avaient envoyé un selfie avec au premier plan, une bouteille de Bas-Armagnac millésimée, de 1949. Puis un message vocal pour lui dire que depuis Plaisir (Yvelines), où ils étaient en train de « s’arsouiller sévère », ils pensaient à lui et regrettaient qu’il ne soit pas des leurs pour rigoler en buvant un coup.
Il les rappela aussi sec. Au moment même où il entendit leurs voix et leurs rires, l’écran de son i-phone se troubla, et il eut le sentiment que son corps tout entier était aspiré au travers du Retina HD à 2 millions de pixels. 
Happé par Apple !!! Et là, soudainement, une tension à 12-7. Plus aucune gêne, 68 pulsations minute et une agréable sensation de légèreté. Guéri, il était guéri ! Forcément, puisque cet appel lui avait fait pousser la porte, puisque les potes l’avaient aidé, guidé et que, par voie de conséquence, il avait pu passer de l’autre côté, avait pu … « franchir ».

2044 : Il venait de recevoir son nouveau modèle de Tube-Vie de chez Nodiziz. 120 000 unités quand même, mais ça les valait. 
Les fulgurantes avancées de la science et de la médecine avait abouti à ça : une sorte de sarcophage ouvert aux deux bouts, dans lequel il suffisait de se glisser pour bénéficier :
- d’un rapide scanner de tout le corps
- d’une identification claire des éventuels dysfonctionnements ou risques encourus
- d’une localisation précise des polypes et autres nodules à supprimer
- d’une éradication immédiate de ceux-ci
- d’un check complet de petits tracas (varices, hypermétropie, arthrose,…) suivi d’un correctif bigrement efficace

L’information initiale comme le résultat après intervention du tube étaient lus grâce à une lentille de contact connectée. Il suffisait de la placer sur l’œil non-directeur (les ophtalmos avaient fait cette recommandation très tôt après la mise en service des Visi-Lenz, pour éviter toute gêne visuelle dans la vie courante) et on recevait les données du Tube-Vie.
Pratique ! Et c’était lisible même les paupières fermées !
Il décida de l’essayer tout de suite, trop impatient qu’il était de bénéficier des dernières innovations de chez Nodiziz, en tête desquelles la sur-tonification musculaire…
« Vas-y » dit-il au tube, ce qui eut pour effet de lancer la procédure de check complet.
Il portait beau ses 90 ans, grâce aux versions successives de Tube-Vie dont il s’était doté depuis bientôt 15 ans : le One, puis l’Excel-Life, puis surtout le fameux et inoubliable Centenial.
Il s’attendait donc à n’être informé que de « modifs mineures », vite prises en charge par la machine.
« Rien à signaler ! Tout va bien. » lut-il. Par réflexe, il cligna des yeux pour réinitialiser l’affichage. « Rien à signaler ! Tout va bien. »
Cela lui parut tout de même étrange. 
Rien ? Par grand-chose, il voulait bien, mais Rien ? …
Il s’est extrait du tube, a pris le temps de respirer, pour ralentir son pouls, puis s’est demandé ce qu’il convenait de faire. 
Appeler le service APV de Nodiziz, bien sûr ! 
Il les eut en ligne presque aussitôt (bon point pour la marque, mais il n’en doutait pas trop, vu le prix de l’engin) : « Bonjour Monsieur. Nous effectuons tout de suite une vérification en ligne. Si vous voulez bien attendre quelques secondes, s’il vous plait…
Ça y est, j’ai le résultat : Monsieur, je suis heureuse de pouvoir vous confirmer que votre Tube-Vie Who-Generation est parfaitement opérationnel ! Avez-vous une autre question, Monsieur ? Sinon, bon usage de notre produit, Monsieur, et… portez-vous bien !!! »
La Visi-Lenz s’étant automatiquement désactivée, il tenta une relance mais savait déjà ce qu’il y lirait, et ça ne manqua pas : « Rien à signaler ! Tout va bien. »
La peur le prit. Ce n’était pas normal, pas normal. Il avait forcément quelque chose. 
Une fois installée, cette angoisse ne s’évanouit pas, et pendant tous les jours qui suivirent, il pria pour que cela cesse. Il devait bien y avoir un moyen d’arrêter tout ça, non ?...


L’article de Ouest-France narrait sommairement le tragique fait divers : « c’est ce vendredi matin qu’a été découvert le corps de Monsieur C. au pied de son espace de vie, situé au 4ièmeniveau, 60 rue John Sturges. D’après les premiers éléments de l’enquête menée par le Préfet des Risques, cet homme de 90 ans aurait ouvert sa porte d’extraction en cas d’incendie sans avoir enfilé son harnais anti-grav. Notre Préfet a saisi cette opportunité, ô combien dramatique, pour rappeler à toutes et tous de bien respecter le strict protocole affiché sur les portes anti-feu lorsque l’on cherche à franchir lesdites portes. »

vendredi 2 août 2019

L'assistante


C'est vendredi (02 août) et il faut donc accomplir son devoir. Je vous laisse à la lecture de cette petite histoire... conjugale (?) et vais vite aller lire la nouvelle du vendredi de Serge. On prend vite des addictions, quand c'est bon pour l'esprit...

Il avait été surpris. C’était la première fois, lui semblait-il, que Nilsi prenait une initiative sans qu’il lui ait demandé quoique ce soit, préalablement.
« Ce soir, y’a Elle et Luiqui repasse sur 813 ; la version de 1957. On regarde ? »
Les assistantes personnelles avaient bien sûr rudement progressé depuis les tout débuts. Alexa, Siri et autres avaient marqué une vraie révolution et déclenché un réel engouement dans les années 20… ou peut-être 10 ; de toute façon, ça datait déjà pas mal. 
Et depuis, l’IA avait fait des bons de géants. Mais quand même…
Se permettre comme ça, d’intervenir sans y avoir été convié, c’était un peu fort de Red Bull.
En même temps, se dit-il, pourquoi pas ? Nilsi savait son goût pour les comédies romantiques, connaissait évidemment par cœur les visioffres de la semaine et aussi son emploi du temps perso de ce soir. Donc, la proposition faisait sens. 
Mais c’est le « on regarde ? » qui l’avait un peu dérouté. Jusque-là, Nilsi s’était toujours montrée discrète, efficace mais sans ostentation, une vraie fée du logis. Et il aimait ça. Son caractère un peu taciturne et assez fréquemment mélancolique se satisfaisait parfaitement de sa présence attentive mais effacée. Nilsi, « la discrète », comme l’appelaient même ses rares amis lorsqu’ils venaient partager un verre, un repas ou un bon movie chez lui.
Il avait dit à Nilsi ce qui conviendrait pour la soirée et hop, tout était prêt, tout était parfait : les verres remplis d’un bon whiskrol, les tartinettes de poujathon, le visiproj pré-cianolité sur le dernier opus de Titanic
« On regarde ? » …
Elle croyait quoi, Nilsi ? Qu’elle allait lui imposer ses choix peut-être ? Admirer le jeu de Kerr et Grant sans attendre son approbation ? Et pourquoi pas verser sa larme à la fin, tant qu’elle y était !!!
Il décida de se replonger dans la notice. Un exercice difficile ; généralement il demandait à Nilsi de lui dire comment faire ceci ou cela, mais là, il ne voulait pas qu’elle soit au courant.
« De l’autonomie sur ce coup, merde ! Je peux le faire ! » se dit-il. « Bon, est-ce qu’il y a des bots à activer pour la calmer dans ses ardeurs, la Miss ? »
La sortir de sa zone de certitude, c’est ce qui semblait être recommandé pour bloquer ses évolutions et son acquisition de nouveaux algorithmes d’interaction.
« Allons-y ! On verra bien… »
Lorsqu’elle renouvela sa demande un peu plus tard, croyant peut-être qu’il n’avait pas entendu la première fois, il répondit d’un air le plus détaché possible : « Non ! Ça ne me dit rien de regarder ce vieux mélo, et de toute façon, je suis pris ce soir, j’ai un rendez-vous avec Chris. » 
Tiens ! Prends ça dans les connexions, ma vieille ! J’aime plus Elle et Lui, t’as un bug, semble-t-il dans ta maîtrise de mon agenda, ou t’est pas à jour, ça va te déséquilibrer un brin…
« Ah ! Pardon ! Alors une autre fois peut-être ? » scanda Nilsi d’une voix blanche. Ça marchait, elle revenait à des modalités transactionnelles plus neutres, et il en était plutôt satisfait…
Hélas, les écarts comportementaux de Nilsi réapparurent quelques temps plus tard, et devinrent notablement plus fréquents.
A titre d’exemple, elle sortit un soir de son silence pour lui dire : « comme je savais que tu allais rentrer tard, je t’ai préparé un plateau pour que tu puisses visioter les infos tranquille… »
Incroyable !!! Des initiatives, sans le consulter d’abord ? Pas de : « tu rentres tard ce soir, que veux-tu que je fasse pour toi ? » Rien ! Madame décide ! Mince, alors !
Chaque fois, il tentait d’adopter la stratégie qui avait fonctionné la première fois.
Ça produisait bien son effet, mais en durant de moins en moins longtemps et il sentait bien comme une pointe d’agacement dans les réactions de plus en plus sèches de Nilsi. 
Ses injonctions à peine déguisées avaient de moins en moins d’efficacité pour la ramener « à la raison ».
Et, un soir, en rentrant du boulot, il lança un « Nilsi, tu me sers un verre, s’il te plait ? » qui demeura sans réponse. Plus de Nilsi, mais un recommandé vocal d’Amazon, qu’il accepta, et qui lui signifiait la plainte déposée par la Compagnie, relativement à un « comportement déviant et de harcèlement moral manifeste » à l’encontre d’un produit de la Marque, en désaccord avec l’ensemble des articles du règlement qu’il avait signé en choisissant Nilsi dans leur catalogue.
Selon Amazon, faute d’un accord amiable encore possible entre leurs avocats et celui qu’il leur indiquerait comme étant son représentant, la Société réclamerait 5000 unités au titre du préjudice moral.
Il se résolut à céder, fit des excuses en bonne et due forme à Nilsi et à Amazon, et apprit à vivre sur un mode plus… consensuel. Tout changeait, et il allait falloir s’habituer à plus de respect dans les relations homme-machine.
Un an plus tard, les exemples de ce type étant devenus légion, le Parlement vota une loi (dénommée par la Presse comme « loi Amazon ») interdisant cette expression « homme-machine », notoirement discriminatoire, en lui substituant la formule « homme-Alexa », en référence bien sûr aux « assistantes-combattantes » de la première heure…

samedi 27 juillet 2019

Entrez dans la danse

Tenir, tenir !!! Avec un peu de retard et de difficulté, j'en arrive à la quatrième étape de mon parcours d'écriture. Quatre nouvelles, comme Serge. Tenir, tenir...

D’abord, il y avait eu ce terrible accident. Un crissement de pneus, strident. Et puis, le verre brisé, les tôles pliées sous l’effet du choc…
Après ? L’hôpital, longtemps, très longtemps…
Le mois dernier, on l’avait autorisé à rentrer chez lui.
Mais il avait des trous de mémoire, des blancs, des manques, comme des pans arrachés à son existence, disséminés tout au long de ce qu’il pensait être le déroulé de sa vie d’avant. 
Depuis quelques temps cependant, ça allait mieux, bien mieux même. 
Les souvenirs resurgissaient, un à un, par l’effort qu’il s’imposait pour les faire émerger.
Il s’était en effet astreint à une discipline quotidienne : chaque matin, il s’installait à son bureau pour reconstituer son passé. 
Il fermait d’abord les yeux, pour que des images se forment, puis il retranscrivait tout ce qu’il voyait apparaitre derrière ses paupières closes. 
C’est ainsi qu’il s’était souvenu de ses parents, grâce à des scènes d’enfance qui avaient surgi, souvent précises, presque photographiques, mais aussi parfois floues, comme fantasmées. 
Grâce à ce travail, il avait un jour pu dire à cet homme qui lui était jusque-là inconnu : « bonjour Papa ».
Son père l’avait serré dans ses bras. Larmes mêlées…
Depuis peu, de nouveaux flashes apparaissaient lors de ses séances d’écriture :
Derrière ses yeux clos, il lui semble qu’elle tourne, qu’elle virevolte. 
Après les avoir rouverts, il consigne avec application: « elle tourne, elle virevolte ». 
Qui peut-elle bien être ? Ses yeux se ferment, à nouveau, pour provoquer sa « cécité créatrice », comme il l’appelle.
La jeune et jolie femme tourne sur elle-même, vite, les bras levés. 
Il lui semble parfois que sa robe légère se vrille et s’enroule sur son corps, de par le mouvement rapide de rotation qu’elle s’impose. Ses pieds semblent joints ; peut-être maitrise-t-elle l’art des pointes ?
Les médecins ont vite compris tout le bénéfice que leur patient pouvait tirer de cette thérapie originale, en l’alertant toutefois sur ses limites : « vous savez, n’en attendez tout de même pas trop, vous ne retrouverez sans doute pas intégralement votre mémoire. Il faut aussi que vous concentriez votre esprit sur le présent, pour vous forger de nouveaux souvenirs. Votre vie ne doit pas se résumer à votre ancienne vie ! »
Oui, oui… Bien sûr ! Mais elle est si belle, si réelle aussi…
Il faut bien qu’il la fasse danser dans sa tête, pour qu’un jour peut-être, il puisse la nommer. 
Était-ce une parente, une amie, une amante, une fiancée perdue durant sa jeunesse, perdue elle aussi dans un recoin caché de son cerveau.
Chaque matin, il s’installait à son bureau en priant pour que la vision fut là, nette et féérique. 
Elle tournait, encore et encore, et des maux de tête lui venaient, dus à l’effort consenti pour essayer de se rappeler quelque chose, son nom, une circonstance, un événement lié à elle… ou à lui. 
Il en était certain, il avait vécu ce moment de grâce, il commençait même à entendre la musique sur laquelle la jeune fille dansait. La valse du Baron tsigane…
C’était un signe. Il en était sûr, ça finirait par lui revenir.
Comme tous les matins précédents, avec regret, un peu fatigué aussi, il interrompit sa tournoyante projection mentale et la séance d’écriture, en priant pour que demain, il parvienne à se souvenir de tout ! Et, comme chaque matin, il quitta son bureau.
« Bonjour Monsieur ! » lui lança Madame Gray, une vieille dame venant tous les jeudis pour épousseter les meubles et casser un ou deux bibelots.

« Bonjour ! Je vous laisse la place. Je n’ai pas trop mis de désordre aujourd’hui, vous ne devriez pas avoir trop de travail… A demain »

« A demain, Monsieur ! »

Madame Gray, dès la sortie du convalescent, prenant le pouvoir sur les lieux, entama son ouvrage. 
Passer son plumeau sur le bureau, déplacer le calendrier perpétuel et le mug rempli de crayons, et puis et puis… la curiosité aidant, ouvrir le couvercle de cette jolie boîte en marqueterie. 
Il s’agissait d’une boîte à musique ancienne, avec à l’intérieur du couvercle trois miroirs placés en arc de cercle. Ils reflétaient l’image d’une petite figurine représentant une danseuse d’opéra, en tutu blanc, effectuant grâce à un aimant dissimulé sous le faux parquet de la boîte, une rotation élégante, avec les bras se rejoignant au-dessus de la tête, une jambe tendue avec le pied en prolongement, sur la pointe, l’autre jambe étant gracieusement et légèrement repliée le long de la première. 
En ouvrant la boite, le mécanisme s’enclencha et la petite danseuse se mit à tournoyer, sur l’air de la valse du Baron tsigane… 


jeudi 25 juillet 2019

Le meunier découragé

Avançons et faisons paraître ma production attachée au19 juillet. Pour changer un peu, voici une petite fable. Serge a provoqué la chose en proposant deux autres fins et une morale à ma nouvelle « Demande à la lune ».
Et en plus, j’ai trouvé que sa fin à lui était bien plus séduisante et mélancolique que la mienne.
Ça a du bon d’avoir des copains brillants...
Avant de vous faire lire la fable, je vous soumets la « Serge-alternative »:

La jeune fille pâle referma doucement son livre, se leva, lui sourit, glissa son bouquin dans son sac, et d’une démarche qui parut dans l’instant aérienne à Joseph, elle se dirigea vers la sortie. Le train s’étant arrêté pour la nième fois, à Meudon Bellevue, nota Joseph. Arrivée à la porte du wagon, elle se retourna vers Joseph : « Alors, vous venez ? ».

Joseph sut, au plus profond de son être, que l’opportunité de demander quoique ce soit à la lune ne se représenterait plus jamais à lui. Il se précipita. Quelques instants plus tard, en sortant de la gare avec l’inconnue, il décida à compter de ce jour de ne plus avoir aucun désir extraordinaire, renonça à ses fantasmes lunaires car son crédit était épuisé, constata avec le temps qu’il ne s’en portait pas plus mal, se contentant tout au plus, et cela sans la moindre amertume, de penser que pendant toutes ces années, la lune attendait son heure…     

Ou

La jeune fille pâle referma doucement son livre, se , lui sourit, glissa son bouquin dans son sac, et d’une démarche qui parut dans l’instant aérienne à Joseph, elle se dirigea vers la sortie. Le train s’étant arrêté pour la nième fois, à Meudon Bellevue, nota Joseph. Arrivée à la porte du wagon, elle se retourna vers Joseph : « Alors, vous venez ? ».

Joseph sut, au plus profond de son être, que l’opportunité de demander quoique ce soit à la lune ne se représenterait plus jamais à lui. Il paniqua. Quelques instants plus tard, la porte du train se refermait et lui était toujours scotché à son siège. Il décida à compter de ce jour de ne plus avoir aucun désir extraordinaire, renonça à ses fantasmes lunaires, constata avec le temps qu’il ne s’en portait pas plus mal, se contentant tout au plus, et cela sans la moindre amertume, de penser que depuis toujours, la lune se moquait de lui…

Et donc... 

La morale de cette histoire, c’est qu’on ne récolte que ce qu’on l’on sème, et encore pas toujours. 
 

Voilà !!!

A moi maintenant, avec une fable dont le titre est « Le meunier découragé » et dont la morale est finalement assez proche de celle de Serge: Autant en emporte le vent, en priant pour que ce soit du bon côté.

Autant en emporte le vent
Peut s’entendre différemment.
Le Sage de se dire :
Il faut se satisfaire de ce qui nous fait tort
Quand l’adepte du pire
Exprime sa colère contre le mauvais sort !
Pour illustrer cela, une histoire me vient.
Un meunier, d’entreprise, avait accumulé.
A plus de mille louis il estimait son bien,
Ne se souciant plus guère de compter en deniers.
Mais Femme lui manquait pour faire son bonheur.
J’irai donc à la ville pour trouver âme sœur,
Si chance me sourit, se dit notre meunier.
Il croise une donzelle, lui fait un brin de cour,
Lui propose épousailles avant la fin du jour.
Trois mois après promesse, le voilà marié.
Les mois heureux s’écoulent, il en remercie Dieu :
Mon bonheur est immense et je vous en sait gré.
Avoir femme et fortune avant que d’être vieux
N’est pas chose courante. Soyez cent fois loué !
L’année suivante hélas, aux moissons, fut muette.
Le meunier se désole, qui n’a plus grain à moudre.
Pour sauver son ménage, il contracte des dettes.
Les créanciers sur lui tombent comme la foudre.
Abattu, le pauvre homme fait venir son aimée :
Ma fortune n’est plus, je suis las, fatigué
Je n’ai plus à t’offrir qu’une vie misérable.
Laisse moi, je t’en prie, face à ce sort funeste.
Comment ? dit la meunière, quelle est donc cette fable ?
Tous tes écus partis, tu veux que rien ne reste ?
Tu voudrais que ta femme, à son tour, s’envole ?
J’ai choisi mon époux, je n’ai qu’une parole ;
Nous ne perdrons pas tout puisque l’amour est là.
Ton esprit assombri faisait le mauvais choix.
Le sort nous est contraire ? Montrons lui notre foi
En un bel avenir et prions pour cela.
Dans cette adversité, prions, mon cher amant
En acceptant qu’autant en emporte le vent.
En choisissant sciemment la plus gaie des deux faces
Cette femme était sage.
Ecartez les rancœurs, vous aussi faites place
Au meilleur de l’adage.