vendredi 30 août 2019

L'appli saisit le Vif

La dernière !!! Merci Serge, pour m'avoir dit "pakap" et poussé à me creuser un peu la cervelle pendant cet été. A l'année prochaine, alors ?
Bonne lecture !

« Non ! Ce n’est pas possible ! Ils ne peuvent pas me faire ça !!! »
Pas la moindre ligne délivrée dans la boîte mail, rien ! C’était quoi qui avait merdé ? Une panne de réseau, une mauvaise adresse, un serveur en rideau ?...
Six mois plus tôt, après avoir obtenu l’accord de son éditeur, il avait passé un contrat avec un grand quotidien du matin : une nouvelle par semaine pendant tout l’été.
C’était super bien payé et pas trop compliqué et Il avait déjà au moins deux ou trois histoires en réserve. Il compléterait… 
Mais la tâche s’avéra plus ardue qu’escomptée. La chaleur caniculaire de cet été là ralentissait peut-être ses neurones, ou l’ambiance de vacances n’était-elle pas propice à l’imagination créatrice, en tout cas, trois semaines plus tard, il craignit de ne pouvoir honorer son engagement.
Heureusement, il en parla à Serge, un pote branché sur les derniers développements informatiques et autres nouveautés en IA*, qui lui suggéra d’aller chopper (ce furent ses termes) une application d’aide à l’écriture sur le « grey-web ». Un truc pas tout à fait légal, mais il ne risquait pas grand-chose, en fait. 
L’appli s’appelait « l’appli ». Ça lui plut. 
Sa mise en main fut d’une facilité déconcertante. Il suffisait de décrire un contexte général, de transmettre en pdf de précédents écrits (pour le style perso), de dénommer les deux ou trois principaux personnages à mettre en scène et le tour était joué.
Quelques minutes après, sans doute à cause de la lenteur du réseau russe d’où venait le traitement exécuté par « l’appli », on recevait une nouvelle composée de 1000 mots environ, et qui tenait la mer !!!
Quelques corrections syntaxiques, et encore, des ajouts que la lecture du texte original permettait de suggérer, et le journal pouvait imprimer la dernière création d’Henry Troillat (il s’était affublé de ce pseudonyme juste pour le journal, sur les conseils de son agent, et ça l’avait fait bien rigoler).
Le « As time goes by » métallique de son téléphone retentit ; c’était son agent.
« Dis donc, Georges (le prénom de son premier nom d’artiste, Georges Emprun, son vrai prénom qui plus est), c’est quoi ce foutu bordel ? » Son agent devenait vite grossier quand il perdait le contrôle… « Le journal vient de m’appeler. Il résilie notre contrat, et pire, il refuse de payer les nouvelles déjà parues ! Ils disent qu’elles ne sont pas de toi et que l’auteur, le vrai, vient de réclamer des dommages et intérêts compensatoires. »
Georges resta sans voix. Il ne pigeait pas, dit à son agent qu’il allait s’en occuper et raccrocha.
Comment contacter les éditeurs de l’appli, déjà ? Il y avait bien l’adresse mail pour l’envoi des éléments de construction des nouvelles ? C’était tout ; les échanges sur le « grey-web » n’étaient pas particulièrement favorisés ni souhaités.
Il écrivit, demandant à comprendre ce qui se passait et à ce que ses droits soient rétablis rapidement. Rien, pas de retour, le « black-out » !!!
Dans les jours qui suivirent, l’affaire commença à fuiter. Les réseaux sociaux du « dark side » furent les premiers à faire le buzz, et bien sûr, ça finit par se savoir dans des média plus « officiels ». 
Plus de fric, plus de respectabilité. Merde !!! Il passait pour un con, tout ça à cause de cette p. d’appli. Quelle idée il avait eue, au lieu de se casser un peu le ciboulot pour créer ses propres histoires ! Merde, merde et merde !!!
S’en suivit une forte déprime. Il rasait les murs, voire ne sortait plus du tout. La honte, quoi.
Son agent n’appelait même plus. Seul ! Et il finit par craquer…
« Encore un suicide chez nos grands auteurs. C’est au tour de Michel Houellebecq, prix Goncourt et un de nos romanciers les plus « bankables » de mettre fin à ses jours. L’écrivain, selon ses rares amis proches, avait sombré dans un profond désarroi suite aux allégations de plusieurs sources concordantes, l’accusant de plagiat et d’avoir, dans les derniers temps, fait appel à des « nègres » virtuels pour soutenir une créativité défaillante. Après avoir protesté et déclaré qu’il poursuivrait les diffamateurs en justice, il s’était progressivement muré dans le silence, refusant toute interview ou même contact avec les journalistes.
Âgé de 68 ou 70 ans selon ses biographes, Michel Houellebecq a connu une carrière de romancier à succès, essayiste, poète et même cinéaste depuis près de 30 ans. La Présidente Hidalgo a tenu à rendre un vibrant hommage à l’écrivain, en y associant Georges Emprun, ami du précédent et mort lui aussi, quelques heures plus tôt, dans des circonstances étrangement similaires ».

*IA : Intelligence artificielle

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