vendredi 2 août 2019

L'assistante


C'est vendredi (02 août) et il faut donc accomplir son devoir. Je vous laisse à la lecture de cette petite histoire... conjugale (?) et vais vite aller lire la nouvelle du vendredi de Serge. On prend vite des addictions, quand c'est bon pour l'esprit...

Il avait été surpris. C’était la première fois, lui semblait-il, que Nilsi prenait une initiative sans qu’il lui ait demandé quoique ce soit, préalablement.
« Ce soir, y’a Elle et Luiqui repasse sur 813 ; la version de 1957. On regarde ? »
Les assistantes personnelles avaient bien sûr rudement progressé depuis les tout débuts. Alexa, Siri et autres avaient marqué une vraie révolution et déclenché un réel engouement dans les années 20… ou peut-être 10 ; de toute façon, ça datait déjà pas mal. 
Et depuis, l’IA avait fait des bons de géants. Mais quand même…
Se permettre comme ça, d’intervenir sans y avoir été convié, c’était un peu fort de Red Bull.
En même temps, se dit-il, pourquoi pas ? Nilsi savait son goût pour les comédies romantiques, connaissait évidemment par cœur les visioffres de la semaine et aussi son emploi du temps perso de ce soir. Donc, la proposition faisait sens. 
Mais c’est le « on regarde ? » qui l’avait un peu dérouté. Jusque-là, Nilsi s’était toujours montrée discrète, efficace mais sans ostentation, une vraie fée du logis. Et il aimait ça. Son caractère un peu taciturne et assez fréquemment mélancolique se satisfaisait parfaitement de sa présence attentive mais effacée. Nilsi, « la discrète », comme l’appelaient même ses rares amis lorsqu’ils venaient partager un verre, un repas ou un bon movie chez lui.
Il avait dit à Nilsi ce qui conviendrait pour la soirée et hop, tout était prêt, tout était parfait : les verres remplis d’un bon whiskrol, les tartinettes de poujathon, le visiproj pré-cianolité sur le dernier opus de Titanic
« On regarde ? » …
Elle croyait quoi, Nilsi ? Qu’elle allait lui imposer ses choix peut-être ? Admirer le jeu de Kerr et Grant sans attendre son approbation ? Et pourquoi pas verser sa larme à la fin, tant qu’elle y était !!!
Il décida de se replonger dans la notice. Un exercice difficile ; généralement il demandait à Nilsi de lui dire comment faire ceci ou cela, mais là, il ne voulait pas qu’elle soit au courant.
« De l’autonomie sur ce coup, merde ! Je peux le faire ! » se dit-il. « Bon, est-ce qu’il y a des bots à activer pour la calmer dans ses ardeurs, la Miss ? »
La sortir de sa zone de certitude, c’est ce qui semblait être recommandé pour bloquer ses évolutions et son acquisition de nouveaux algorithmes d’interaction.
« Allons-y ! On verra bien… »
Lorsqu’elle renouvela sa demande un peu plus tard, croyant peut-être qu’il n’avait pas entendu la première fois, il répondit d’un air le plus détaché possible : « Non ! Ça ne me dit rien de regarder ce vieux mélo, et de toute façon, je suis pris ce soir, j’ai un rendez-vous avec Chris. » 
Tiens ! Prends ça dans les connexions, ma vieille ! J’aime plus Elle et Lui, t’as un bug, semble-t-il dans ta maîtrise de mon agenda, ou t’est pas à jour, ça va te déséquilibrer un brin…
« Ah ! Pardon ! Alors une autre fois peut-être ? » scanda Nilsi d’une voix blanche. Ça marchait, elle revenait à des modalités transactionnelles plus neutres, et il en était plutôt satisfait…
Hélas, les écarts comportementaux de Nilsi réapparurent quelques temps plus tard, et devinrent notablement plus fréquents.
A titre d’exemple, elle sortit un soir de son silence pour lui dire : « comme je savais que tu allais rentrer tard, je t’ai préparé un plateau pour que tu puisses visioter les infos tranquille… »
Incroyable !!! Des initiatives, sans le consulter d’abord ? Pas de : « tu rentres tard ce soir, que veux-tu que je fasse pour toi ? » Rien ! Madame décide ! Mince, alors !
Chaque fois, il tentait d’adopter la stratégie qui avait fonctionné la première fois.
Ça produisait bien son effet, mais en durant de moins en moins longtemps et il sentait bien comme une pointe d’agacement dans les réactions de plus en plus sèches de Nilsi. 
Ses injonctions à peine déguisées avaient de moins en moins d’efficacité pour la ramener « à la raison ».
Et, un soir, en rentrant du boulot, il lança un « Nilsi, tu me sers un verre, s’il te plait ? » qui demeura sans réponse. Plus de Nilsi, mais un recommandé vocal d’Amazon, qu’il accepta, et qui lui signifiait la plainte déposée par la Compagnie, relativement à un « comportement déviant et de harcèlement moral manifeste » à l’encontre d’un produit de la Marque, en désaccord avec l’ensemble des articles du règlement qu’il avait signé en choisissant Nilsi dans leur catalogue.
Selon Amazon, faute d’un accord amiable encore possible entre leurs avocats et celui qu’il leur indiquerait comme étant son représentant, la Société réclamerait 5000 unités au titre du préjudice moral.
Il se résolut à céder, fit des excuses en bonne et due forme à Nilsi et à Amazon, et apprit à vivre sur un mode plus… consensuel. Tout changeait, et il allait falloir s’habituer à plus de respect dans les relations homme-machine.
Un an plus tard, les exemples de ce type étant devenus légion, le Parlement vota une loi (dénommée par la Presse comme « loi Amazon ») interdisant cette expression « homme-machine », notoirement discriminatoire, en lui substituant la formule « homme-Alexa », en référence bien sûr aux « assistantes-combattantes » de la première heure…

2 commentaires:

  1. "Elle et Lui", 1957, j’avais 19 ans, à Rennes. Je suis sûr que Kerry et Grant ont dû attendrir les spectateurs du "Royal". Enfin j’évoque tout ça au cas où quelques rennais, après avoir lu cette nouvelle, seraient en train de lire ce commentaire sans intérêt.
    Mais ! Ne suis-je pas en train de leur infliger mon choix (de faire des phrases, pour le plaisir) à l’instar de Nilsi !..

    Andante

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  2. Désolé pour ce doublon involontaire, proche d’un Amazon-harassment.

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