Tenir, tenir !!! Avec un peu de retard et de difficulté, j'en arrive à la quatrième étape de mon parcours d'écriture. Quatre nouvelles, comme Serge. Tenir, tenir...
D’abord, il y avait eu ce terrible accident. Un crissement de pneus, strident. Et puis, le verre brisé, les tôles pliées sous l’effet du choc…
Après ? L’hôpital, longtemps, très longtemps…
Le mois dernier, on l’avait autorisé à rentrer chez lui.
Mais il avait des trous de mémoire, des blancs, des manques, comme des pans arrachés à son existence, disséminés tout au long de ce qu’il pensait être le déroulé de sa vie d’avant.
Depuis quelques temps cependant, ça allait mieux, bien mieux même.
Les souvenirs resurgissaient, un à un, par l’effort qu’il s’imposait pour les faire émerger.
Il s’était en effet astreint à une discipline quotidienne : chaque matin, il s’installait à son bureau pour reconstituer son passé.
Il fermait d’abord les yeux, pour que des images se forment, puis il retranscrivait tout ce qu’il voyait apparaitre derrière ses paupières closes.
C’est ainsi qu’il s’était souvenu de ses parents, grâce à des scènes d’enfance qui avaient surgi, souvent précises, presque photographiques, mais aussi parfois floues, comme fantasmées.
Grâce à ce travail, il avait un jour pu dire à cet homme qui lui était jusque-là inconnu : « bonjour Papa ».
Son père l’avait serré dans ses bras. Larmes mêlées…
Depuis peu, de nouveaux flashes apparaissaient lors de ses séances d’écriture :
Derrière ses yeux clos, il lui semble qu’elle tourne, qu’elle virevolte.
Après les avoir rouverts, il consigne avec application: « elle tourne, elle virevolte ».
Qui peut-elle bien être ? Ses yeux se ferment, à nouveau, pour provoquer sa « cécité créatrice », comme il l’appelle.
La jeune et jolie femme tourne sur elle-même, vite, les bras levés.
Il lui semble parfois que sa robe légère se vrille et s’enroule sur son corps, de par le mouvement rapide de rotation qu’elle s’impose. Ses pieds semblent joints ; peut-être maitrise-t-elle l’art des pointes ?
Les médecins ont vite compris tout le bénéfice que leur patient pouvait tirer de cette thérapie originale, en l’alertant toutefois sur ses limites : « vous savez, n’en attendez tout de même pas trop, vous ne retrouverez sans doute pas intégralement votre mémoire. Il faut aussi que vous concentriez votre esprit sur le présent, pour vous forger de nouveaux souvenirs. Votre vie ne doit pas se résumer à votre ancienne vie ! »
Oui, oui… Bien sûr ! Mais elle est si belle, si réelle aussi…
Il faut bien qu’il la fasse danser dans sa tête, pour qu’un jour peut-être, il puisse la nommer.
Était-ce une parente, une amie, une amante, une fiancée perdue durant sa jeunesse, perdue elle aussi dans un recoin caché de son cerveau.
Chaque matin, il s’installait à son bureau en priant pour que la vision fut là, nette et féérique.
Elle tournait, encore et encore, et des maux de tête lui venaient, dus à l’effort consenti pour essayer de se rappeler quelque chose, son nom, une circonstance, un événement lié à elle… ou à lui.
Il en était certain, il avait vécu ce moment de grâce, il commençait même à entendre la musique sur laquelle la jeune fille dansait. La valse du Baron tsigane…
C’était un signe. Il en était sûr, ça finirait par lui revenir.
Comme tous les matins précédents, avec regret, un peu fatigué aussi, il interrompit sa tournoyante projection mentale et la séance d’écriture, en priant pour que demain, il parvienne à se souvenir de tout ! Et, comme chaque matin, il quitta son bureau.
« Bonjour Monsieur ! » lui lança Madame Gray, une vieille dame venant tous les jeudis pour épousseter les meubles et casser un ou deux bibelots.
« Bonjour ! Je vous laisse la place. Je n’ai pas trop mis de désordre aujourd’hui, vous ne devriez pas avoir trop de travail… A demain »
« A demain, Monsieur ! »
Madame Gray, dès la sortie du convalescent, prenant le pouvoir sur les lieux, entama son ouvrage.
Passer son plumeau sur le bureau, déplacer le calendrier perpétuel et le mug rempli de crayons, et puis et puis… la curiosité aidant, ouvrir le couvercle de cette jolie boîte en marqueterie.
Il s’agissait d’une boîte à musique ancienne, avec à l’intérieur du couvercle trois miroirs placés en arc de cercle. Ils reflétaient l’image d’une petite figurine représentant une danseuse d’opéra, en tutu blanc, effectuant grâce à un aimant dissimulé sous le faux parquet de la boîte, une rotation élégante, avec les bras se rejoignant au-dessus de la tête, une jambe tendue avec le pied en prolongement, sur la pointe, l’autre jambe étant gracieusement et légèrement repliée le long de la première.
En ouvrant la boite, le mécanisme s’enclencha et la petite danseuse se mit à tournoyer, sur l’air de la valse du Baron tsigane…
Ah oui Alain, ça c’est fichtrement bien tourné. Une de mes préférées.
RépondreSupprimerJe trouve ton idée de départ (plutôt d’arrivée; sans doute ta mécanique créatrice) très jolie et le style est particulièrement, comment dire?, élégant et porteur.
Bonheur d’avoir encore tant de nouvelles à lire.
A.