mardi 31 mars 2020

L’édifiante et drolatique histoire de Richard, des dindons et des garnements du village

Des amis Bretons et Grands Bretons qui se reconnaitront ont été les inspirateurs de cette histoire. Je les en remercie ...


       La Rencontre

L’histoire que nous allons vous raconter est celle de Richard, un gars apparemment un peu simple mais foncièrement bon.
Richard était né en Ecosse et avait vécu jusqu’à ses 35 ans dans le nord de l’Angleterre. Un homme travailleur et qui n’avait jamais ménagé sa peine ! C’est qu’il faut être courageux et résistant pour gagner sa vie, dans les mines de charbon de Grimley.
Richard était aussi un homme honnête, dont la trop brève éducation scolaire n’avait pas fait un… « rascall ». Son visage traduisait bien son bon fond et il vous regardait toujours dans les yeux lorsque vous vous adressiez à lui. Richard était la candeur même, ce que d’aucun traduisait avec une certaine condescendance par de l’innocence.
A cause de Margaret Thatcher et de la fermeture des mines, Richard s’était résolu à descendre plus bas que Grimley, jusqu’à Londres, où un copain lui avait dit qu’on trouvait plus facilement du boulot. Mais pour un gars comme lui, sans diplôme, sans repère, Londres était trop grande, trop exigeante, trop incompréhensible. 
Par chance, il avait croisé un jour le comte de-Brillac, dans un pub où Richard tentait pour quelques heures d’oublier ses recherches infructueuses et son involontaire désœuvrement. Il n’y avait qu’eux deux à cette heure dans le bar, ce qui contribua évidemment à leur rencontre.
Le comte de-Brillac était le dernier d’une longue lignée de hobereaux bretons désargentés, mais lui avait fait fortune en louant des bateaux de croisière à de riches anglais qui voulaient découvrir la côte sud de la Bretagne, dans le sillage de George Millar, l’auteur du célébrissime « Oyster river », une bible pour les Yachtmen britanniques.
Il était à Londres pour y rencontrer de nouveaux clients et remplir son « carnet de commande », comme il disait, en vue de la prochaine saison estivale. Il finissait de siroter lentement, comme il convient de le faire, une bonne pinte de Guinness lorsque Richard s’approcha de lui. 
« Je vous offre la petite sœur, Sir ? » lui dit Richard dans un français qu’il avait appris grâce à sa mère, épouse normande d’un fusilier britannique et héros anonyme du débarquement de 44.
de-Brillac avait levé les yeux pour savoir à qui il avait à faire. 
Richard lui souriait gentiment et donc, il accepta. 


Jardinier

Quelques pintes plus tard, de-Brillac lui proposait un job en France, dans sa propriété morbihannaise, un emploi de jardinier… 
« Tous les anglais sont un peu jardiniers, pas vrai ? » lança-t-il avec cette maladresse et cet aplomb un tantinet prétentieux dont les français sont capables lorsqu’ils sont hors de chez eux et déjà un peu ivres. Richard choisit de ne pas lui rétorquer qu’il était écossais et pas anglais, thank God, trop heureux d’avoir converti sa générosité sans calcul en « contrat à durée indéterminée » (c’était la phrase employée par son tout nouveau patron pour dire «payé chaque fin de mois»).
C’est ainsi que Richard traversa la Manche pour occuper une petite maison, à l’entrée de la vaste propriété des de-Brillac. Du travail, il y en avait ! Deux hectares de prairie, mais surtout 800 mètres carrés d’un jardin à l’anglaise situé devant la demeure seigneuriale de Gwenvael (« Appelle-moi par mon prénom, mon gars, pas de façons entre nous !!! » lui avait lancé de-Brillac, peu de temps après son installation).
Planter, biner, tailler et tondre, Richard apprit à maitriser tout cela, et le jardin quelque peu négligé jusque-là devint petit à petit coquet, puis agréable, magnifique enfin. Richard était fier de son ouvrage.
Au village, il acheta à un brocanteur deux dindons en céramique blanche, à moins que ce ne fussent des oies, il ne savait trop. Il avait idée de les disposer dans le parterre le plus proche de la terrasse, pour que ses patrons les voient en prenant le petit-déjeuner et soient contents ; ils le seraient, pour sûr ! Et ils le furent.  


Les dindons

Un brin taquin, Gwenvael posa un jour sa main sur l’épaule de Richard et lui demanda : « dis donc, mon gars, avec tes dindons, tu vas pouvoir nous servir du whisky écossais ? Ils vont t’en pondre des litres, tu sais bien, du Famous Grouse !!! » Et il partit d’un rire tonitruant.
Richard se contenta de sourire, simplement. Ce que lui disait son patron finirait sans doute par se réaliser, car Sir de-Brillac ne lui avait jamais menti. Il prit donc soin des dindons de céramique avec plus d’attention encore, certain qu’un jour peut-être, il pourrait présenter à son boss des œufs remplis du fameux breuvage.
Chaque matin, de-Brillac l’interpelait : « alors, Richard, toujours pas de whisky ? », et il partait d’un petit rire satisfait, apparemment content de rendre durable sa petite blague initiale…
Cela chagrinait Richard. Il sentait bien au fond de lui que cette histoire de dindons en céramique qui pondent des œufs, c’était bizarre, mais Gwenvael avait l’air si attaché à l’idée… Peut-être que tout bêtement, les figurines avaient le don d’attirer de vrais volatiles qui poseraient là leurs œufs ? Et le whisky ? Richard ignorait totalement comment des dindons pourraient en produire, mais aller savoir !?
Toujours est-il que Richard, lui d’un naturel plutôt enjoué, devint progressivement plus soucieux, plus sombre. Il se levait de plus en plus tôt, pour aller voir ses dindons, au cas où…


                                                                  Les garnements

Il fit même part de sa préoccupation au village, ce qui contribua à rendre hilares les petits garnements qui prenaient plaisir à l’accompagner lorsqu’il venait y faire ses courses. 
Erwan, Loïc et Malo aimaient bien Richard. Il était toujours doux avec eux, leur offraient souvent un petit morceau de Kouign-amann quand il en achetait pour lui-même et puis surtout, il prenait de son temps pour leur raconter des histoires de son pays, l’Ecosse, des légendes extraordinaires. 
Qui plus est, les gamins adoraient entendre l’Ecossais prononcer des mots anglais avec des R et même des Rrrr, des mots qu’ils ne comprenaient pas mais qui les faisaient rire aux éclats.
Après un premier instant de moquerie au sujet des dindons pondeurs de whisky, les trois chenapans se dirent qu’il y avait quelque chose de drôle à faire pour rendre sa gaité à leur ami. Ils allaient réaliser le vœu de Richard…
Comme on approchait du lundi de Pâques, les petits brigands demandèrent à leurs mères de leur confier avec un peu d’avance des œufs en plastique, de ceux qu’on remplit pour cette fête de bonbons et petits chocolats de toutes les couleurs. Les mamans, amusées, y consentirent.
La seconde étape du plan des enfants était plus difficile à mettre en pratique car il fallait faire preuve d’encore plus de persuasion, cette fois-ci avec leurs pères. Ils devaient obtenir d’eux… du whisky, qu’ils transvaseraient dans les œufs en plastique. Après d’âpres négociations et la promesse formelle et réitérée qu’en aucun cas, ils ne gouteraient au terrible breuvage, les gamins eurent gain de cause !
La dernière phase de leur stratagème fut la plus drôle et la plus risquée : il fallait s’introduire, de nuit, chez les « aristos », déposer les œufs remplis de « Famous Grouse » autour des dindons en céramique et prendre ensuite leurs jambes à leur cou, en s’interdisant de pouffer de rire avant d’avoir quitté l’enceinte de manoir des de-Brillac.
Mission accomplie !!!   


Une blague réussie 

Le lendemain, Richard découvrit les œufs, en ouvrit un délicatement, goûta le liquide qu’il contenait, les ramassa tous dans un panier, et s’en vint offrir fièrement sa production au maitre des lieux, le comte de-Brillac.
Celui-ci, désarçonné au vu des œufs et du sourire épanoui de Richard, eut tout à coup un peu honte de sa plaisanterie et choisit de clore sa pauvre farce en remerciant chaleureusement Richard et en le félicitant pour sa persévérance et sa réussite en matière de distillation animale.
Richard, quant à lui, était visiblement aux anges. Son patron était content et lui enfin soulagé.
Il pouvait désormais reprendre le jardinage sans aucune arrière-pensée…




Lettre d’un fils à sa mère

Ma chère Maman,
J’espère que tu te portes mieux et que ce vilain rhume dont tu me parlais dans ta dernière lettre est passé maintenant. Tu devrais recevoir demain mon virement mensuel. Surtout, cesse de me reprocher chaque fois de trop te donner, ici, je ne manque vraiment de rien et je te dois bien cela, ma petite Maman. 

Voici quelques nouvelles de France. 
Une amusante histoire m’est arrivée, avec ces sacrés frenchies. Je me demande encore quelle drôle d’idée leur est passée par la tête, mais ils ont trouvé amusant d’imaginer que des dindons en céramique pouvaient pondre du blended whisky. Ayant compris, je crois du moins, qu’ils attendaient de moi que je leur fasse plaisir en leur apportant des œufs gorgés de Famous Grouse le lundi de Pâques, je m’apprêtai à le faire quand des enfants du village m’ont devancé. Ces petits vauriens n’ont rien trouvé de mieux que d’en placer près de mes oies décoratives (ce sont des oies, en fait, pas des dindons, mais les français semblent ne pas faire la différence) dans le parterre du jardin, celui dont je t’ai déjà parlé et que suis si fier d’avoir bien arrangé, avec deux grands arbustes et de petits massifs verdoyants tout autour.

Mon patron a été ravi que je les lui offre et il m’a même promis une petite augmentation.
Donc, comme tu vois, tout va bien ici.

Demain, j’irai au village et offrirai à chacun des enfants un Easter bunny en céramique (j’en ai trouvé chez Gamm’vert, un magasin bien utile quand on jardine), bien sûr garnis à l’intérieur d’Easter eggs !!!
Ça me ferait bien rire s’ils se mettaient à croire que les lapins pondent des œufs…

Comme tu vois, je ne m’ennuie pas. Tout le monde ici est sympathique avec moi ; c’est bien mieux que la mine, c’est sûr !

Maman, je t’embrasse bien fort depuis la Bretagne.


Ton fils qui t’aime
Dick

Légère Sylvia


Confinement oblige, on retrouve le goût de prendre du temps pour réfléchir, écrire, transmettre. Je suis heureux en fait de pouvoir saisir cette triste opportunité pour vous proposer quelques nouvelles... nouvelles!


Sylvia était partie depuis une quinzaine. Une mission en Géorgie, pour son boulot. 
Pierre avait ressenti assez cruellement cet éloignement. Leur histoire d’amour avait commencé trois mois auparavant et leur séparation, même temporaire, était difficile à supporter.
Heureusement, il y avait That’s-top pour rester en contact. SMS, photos, vidéos maintenaient le lien, autorisant même un semblant d’intimité. Seuls les appels, qu’ils soient téléphoniques ou en Visio-live, ne fonctionnaient pas pour d’obscures raisons ; le gouvernement géorgien, peu enclin à favoriser des émissions de données en temps réel, avait bloqué ces fonctionnalités. La « démocratie » avait en Géorgie des limites rapidement perceptibles. 
Comment s’étaient-ils rencontrés ? Via internet, sur le site « une fille-un gars ». Pierre avait consigné sur le site ses propres « qualités » comme celles qu’il attendait d’une compagne. Sylvia avait fait de même, énonçant à peu de choses près les mêmes choix et préférences. « Une fille-un gars » avait rempli son office et les avait mis en relation. Du travail bien fait !
Ils avaient échangé et tout avait « matché ». L’amour, c’est ça, non ?
Depuis, ils s’étaient vus tous les jours, jusqu’à ce voyage en Géorgie. Ils avaient visionné des vieux films, parcouru ensemble des expos-3D à Paris et à Londres, concocté de bons petits plats grâce à Foodette…
Une trouvaille, ce site de recettes bio et originales qu’il suffisait de suivre pas à pas, avec tous les ingrédients livrés à la maison le lendemain de la commande ; on s’abonne, on choisit son plat et c’est parti. Convivial ! Marrant ! Sylvia et Pierre, cuisinant à tour de rôle, s’étaient ainsi découvert des affinités même en matière culinaire…
Le temps avait passé vite.
Mais depuis le mardi du départ et la petite vidéo prise par Sylvia à Roissy dans le lounge VIP d’Air-France, peu avant l’embarquement, Pierre était désorienté. D’abord, sur le selfie que Sylvia avait posté après l’atterrissage, il avait été surpris par des reflets auburn dans ses cheveux, elle qui était plutôt brune. Il avait mis cela sur le compte du flash. Le lendemain, même bizarrerie : sur la photo de sa chambre d’hôtel, le visage de Sylvia apparaissait dans un miroir, et elle semblait avoir sur le haut des joues de petites taches de rousseur. Un simple effet d’optique sans doute, mais troublant. 
Ça ne lui allait pas mal, d’ailleurs, ce petit air de rouquine, songea-t-il.
Jour après jour, Pierre devinait de nouvelles et subtiles modifications chez Légère (il l’avait tout de suite surnommée ainsi après qu’ils aient vu et adoré « Breakfast at Tiffany’s »). Les taches de rousseur étaient finalement bien là, ses cheveux plus auburn encore qu’à l’aéroport, ses yeux semblaient s’être finement bridés … Sylvia était définitivement ravissante, mais différente de la Légère du début.
Un soir, il avait failli lui écrire un SMS pour lui dire son étonnement à ce sujet, mais s’était ravisé. 
Elle va te prendre pour un mytho, oublie !!! Quand elle sera de retour, on en rira!...

Ghislaine ne cachait pas sa satisfaction. Son idée s’était avérée payante. Lorsqu’elle avait pris le poste de Directrice Marketing de « Une fille-un gars », elle avait rapidement plaidé pour une réorientation stratégique. Il fallait fidéliser les clients, jusque-là très versatiles, en leur « offrant » une compagne virtuelle (ou un compagnon) évolutive. « En scrutant les données fournies par nos clients, on doit pouvoir améliorer la proposition initiale, sans qu’ils s’en rendent compte bien sûr (ils doivent toujours avoir le sentiment qu’ils sont maitres de leurs choix), et pour leur plus grande satisfaction » avait-elle suggéré au Board. Projet retenu !! Et s’en étaient suivis 50% d’augmentation du taux de fidélisation et 7% de progression de la marge. Un carton !

Légère était revenu de Géorgie. Pierre et elle avaient pu reprendre leurs échanges quotidiens, sur la plateforme vidéo du site, comme avant. Pierre avait dit à Sylvia combien son maquillage à la Audrey Hepburn lui plaisait. Sylvia avait souri, puis avait posé à son intention un baiser sur l’écran…