vendredi 30 août 2019

L'appli saisit le Vif

La dernière !!! Merci Serge, pour m'avoir dit "pakap" et poussé à me creuser un peu la cervelle pendant cet été. A l'année prochaine, alors ?
Bonne lecture !

« Non ! Ce n’est pas possible ! Ils ne peuvent pas me faire ça !!! »
Pas la moindre ligne délivrée dans la boîte mail, rien ! C’était quoi qui avait merdé ? Une panne de réseau, une mauvaise adresse, un serveur en rideau ?...
Six mois plus tôt, après avoir obtenu l’accord de son éditeur, il avait passé un contrat avec un grand quotidien du matin : une nouvelle par semaine pendant tout l’été.
C’était super bien payé et pas trop compliqué et Il avait déjà au moins deux ou trois histoires en réserve. Il compléterait… 
Mais la tâche s’avéra plus ardue qu’escomptée. La chaleur caniculaire de cet été là ralentissait peut-être ses neurones, ou l’ambiance de vacances n’était-elle pas propice à l’imagination créatrice, en tout cas, trois semaines plus tard, il craignit de ne pouvoir honorer son engagement.
Heureusement, il en parla à Serge, un pote branché sur les derniers développements informatiques et autres nouveautés en IA*, qui lui suggéra d’aller chopper (ce furent ses termes) une application d’aide à l’écriture sur le « grey-web ». Un truc pas tout à fait légal, mais il ne risquait pas grand-chose, en fait. 
L’appli s’appelait « l’appli ». Ça lui plut. 
Sa mise en main fut d’une facilité déconcertante. Il suffisait de décrire un contexte général, de transmettre en pdf de précédents écrits (pour le style perso), de dénommer les deux ou trois principaux personnages à mettre en scène et le tour était joué.
Quelques minutes après, sans doute à cause de la lenteur du réseau russe d’où venait le traitement exécuté par « l’appli », on recevait une nouvelle composée de 1000 mots environ, et qui tenait la mer !!!
Quelques corrections syntaxiques, et encore, des ajouts que la lecture du texte original permettait de suggérer, et le journal pouvait imprimer la dernière création d’Henry Troillat (il s’était affublé de ce pseudonyme juste pour le journal, sur les conseils de son agent, et ça l’avait fait bien rigoler).
Le « As time goes by » métallique de son téléphone retentit ; c’était son agent.
« Dis donc, Georges (le prénom de son premier nom d’artiste, Georges Emprun, son vrai prénom qui plus est), c’est quoi ce foutu bordel ? » Son agent devenait vite grossier quand il perdait le contrôle… « Le journal vient de m’appeler. Il résilie notre contrat, et pire, il refuse de payer les nouvelles déjà parues ! Ils disent qu’elles ne sont pas de toi et que l’auteur, le vrai, vient de réclamer des dommages et intérêts compensatoires. »
Georges resta sans voix. Il ne pigeait pas, dit à son agent qu’il allait s’en occuper et raccrocha.
Comment contacter les éditeurs de l’appli, déjà ? Il y avait bien l’adresse mail pour l’envoi des éléments de construction des nouvelles ? C’était tout ; les échanges sur le « grey-web » n’étaient pas particulièrement favorisés ni souhaités.
Il écrivit, demandant à comprendre ce qui se passait et à ce que ses droits soient rétablis rapidement. Rien, pas de retour, le « black-out » !!!
Dans les jours qui suivirent, l’affaire commença à fuiter. Les réseaux sociaux du « dark side » furent les premiers à faire le buzz, et bien sûr, ça finit par se savoir dans des média plus « officiels ». 
Plus de fric, plus de respectabilité. Merde !!! Il passait pour un con, tout ça à cause de cette p. d’appli. Quelle idée il avait eue, au lieu de se casser un peu le ciboulot pour créer ses propres histoires ! Merde, merde et merde !!!
S’en suivit une forte déprime. Il rasait les murs, voire ne sortait plus du tout. La honte, quoi.
Son agent n’appelait même plus. Seul ! Et il finit par craquer…
« Encore un suicide chez nos grands auteurs. C’est au tour de Michel Houellebecq, prix Goncourt et un de nos romanciers les plus « bankables » de mettre fin à ses jours. L’écrivain, selon ses rares amis proches, avait sombré dans un profond désarroi suite aux allégations de plusieurs sources concordantes, l’accusant de plagiat et d’avoir, dans les derniers temps, fait appel à des « nègres » virtuels pour soutenir une créativité défaillante. Après avoir protesté et déclaré qu’il poursuivrait les diffamateurs en justice, il s’était progressivement muré dans le silence, refusant toute interview ou même contact avec les journalistes.
Âgé de 68 ou 70 ans selon ses biographes, Michel Houellebecq a connu une carrière de romancier à succès, essayiste, poète et même cinéaste depuis près de 30 ans. La Présidente Hidalgo a tenu à rendre un vibrant hommage à l’écrivain, en y associant Georges Emprun, ami du précédent et mort lui aussi, quelques heures plus tôt, dans des circonstances étrangement similaires ».

*IA : Intelligence artificielle

vendredi 23 août 2019

Un avenir incertain

Avant dernière nouvelle du challenge avec Serge. Pour faire du mieux possible, j'ai suivi les conseils  avisés de Valérie et Vincent (merci à eux) et ai fait en sorte d'être plus concis. Pas simple, pour moi! Mais j'ai tout de même réduit mon texte originel de 9,8% (selon les statistiques de Word). A vous de juger. Bonne lecture :

« Jean, n’oublie pas de descendre le vieux secrétaire du Grand-Père ! Tu as promis de faire du rangement là-haut, je te rappelle… ». 

Il se rappelait. 

Ce meuble, il le revoyait, dans la pièce que Joseph Renaudon avait transformée en bureau, placé contre le mur opposé à la porte d’entrée, à côté de sa table de travail. Le secrétaire et le dos un peu vouté de son Grand-Père ne faisaient plus qu’un dans son souvenir.

La table ? Il n’était pas très sûr de ce qu’elle était devenue. Peut-être son frère l’avait-il récupérée au moment de la vente de la maison ? 

Lui avait gardé le secrétaire, sans bien savoir à quoi il pourrait servir. Et il n’avait pas su. 

Sa femme Julia non plus, c’était le moins qu’on puisse dire ! 

« Moche, vieux, pas notre style, peut-être en le repeignant… »

Il l’avait remisé au grenier. Maintenant, avec l’arrivée d’un petit fils, il allait devoir transformer leur grenier en chambre, pour le petit bonhomme. 

Exit, le secrétaire ! Allez hop, du balai !

Le meuble s’avéra moins lourd que l’idée qu’il s’en faisait. Il le descendit sans trop d’effort par l’escalier à pas japonais et le déposa au milieu du couloir, pour une petite pause quand même. Il sourit : pas si lourd, le secrétaire, mais moins vaillant qu’autrefois, le déménageur ! 

La porte inférieure s’entrouvrit. Dedans, rien, sauf les deux tablettes divisant en trois le volume de rangement. Machinalement, il referma la porte et donna un tour de clef, puis tira sur la petite poignée en bois sculpté du tiroir supérieur. Là non plus, rien… 

Ah si, tiens ! Le fond du tiroir était recouvert d’une feuille de papier en épousant presque le contour. Avec l’ongle de son index droit, il parvint à attraper la feuille par le milieu d’un des côtés et réussit à l’extraire sans la déchirer. Elle était un peu jaunie par le temps et un des angles était abîmé et noirci, comme si on avait cherché à brûler la feuille, puis renoncé, allez savoir pourquoi.

Sur sa face non visible dans le tiroir, il découvrit quelque chose d’imprimé. Des mots, des lignes de mots, environ une demi-douzaine de mots par ligne, le tout recouvrant la feuille en formant comme un grand rectangle gris.

« Impression en mode justifié » pensa-t-il à haute voix. « Lucida handwriting - taille de police : 10 - majuscules - italique » rajouta-t-il avec un brin d’autosatisfaction, cette fois tacitement. Ses connaissances professionnelles d’imprimeur avaient pris le dessus sur son étonnement, pendant quelques secondes.

« Bon. Voyons. Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Il entreprit de lire cette étrange juxtaposition de termes sans relation logique apparente :

 

JOSEPH AVIATION VICTOR-HUGO CHAPEAUX BUICK ACCIDENT ANTIBES VACANCES ROBERT COMMUNALE TABLEAU-NOIR PARIS …

 

Le prénom de son Grand-Père démarrait la série. Étonnant ! Un lien avec les mots suivants ?

Oui !!! Il avait été pilote d’avion. Victor Hugo ? Bingo ! Joseph lui récitait des poèmes tirés de la Légende des siècles quand il était petit, comme Après la bataille : « Donne lui tout de même à boire, dit mon Père » …

Les chapeaux !!! Chaque fois qu’il allait en vacances chez ses Grands-Parents, à Antibes, Joseph l’emmenait à Juan-les-Pins pour lui acheter un nouveau couvre-chef, plutôt une casquette d’ailleurs dans son souvenir de gosse.

Il allait continuer son déchiffrage, sauf que, sauf que… Joseph était bien mort dans un accident de voiture, une Buick Skylark Sedan, et ne pouvait donc pas être l’auteur de ces mots, ou alors il était voyant, ou ressuscité. Et puis, un peu plus loin, il lut :

 

BRADBURY ANTIGONE WELLES LUGE REVELATION BAC JANSON

 

Là, ça le concernait directement, et bien après la mort du Grand-Père.

Sa découverte de la science-fiction, d’Anouilh, de Citizen Kane, sa prépa à Janson de Sailly … Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qui avait écrit tout ça ? Il chercha instinctivement le dernier mot de la page, mais celui-ci avait disparu avec le coin brûlé. Alors, avant même de remonter plus haut, un vertige le prit, sa vision se brouilla, il se mit à trembler et la feuille lui échappa des mains.

Il comprit d’un seul coup que cette feuille contenait toute sa vie, en une sorte de code morse, mot après mot, ligne après ligne. Pourquoi, comment, il l’ignorait, mais cette feuille lui était adressée, destinée !

Ne pas céder à la panique. Qu’allait-il faire ? Ramasser la feuille, la lire attentivement pour identifier tout ce qu’il avait déjà vécu, et passer le cap en plongeant alors dans son propre avenir ? Chercher ensuite à décoder les mots, les enchainements de situations énoncées pour essayer de saisir ce qui lui surviendrait, au fil des ans.

Non, non, non !!! C’était fou. Il ne fallait pas. Mais la curiosité, hein, la curiosité !

Il prit une décision : attendre, prendre le temps. 

« Prendre le temps… » Il rit intérieurement : la formule était bien adaptée aux circonstances, vraiment. 

Puis, de nouveau sérieux, il plia la feuille pour ne pas voir les lignes et la remit dans le tiroir. Après une bonne (pas sûr !) nuit de sommeil, il verrait.

Il se réveilla assez tard. Le réveil projetait au plafond 10 heures 04 en chiffres rouges. 

Il s’était longtemps retourné dans son lit, il croyait même se souvenir d’un « 03 : 44 », puis avait dû sombrer dans un sommeil comateux au petit matin. 

Il s’obligea à ne pas courir pour rouvrir le tiroir, se leva en affectant une sérénité qui l’avait pourtant abandonné dès qu’il avait ouvert les yeux, se dirigea vers la salle de bain et prit une douche chaude. Allez ! Cette fois, il pouvait se donner le droit d’être fébrile et de déplier à nouveau cette maudite feuille.

Arrivé dans le couloir, son cœur accéléra ; il le sentait battre.

-        Julia ? Chérie ? Où est le secrétaire de Grand-Père ?

-        Parti, Dieu merci ! Je l’ai mis hier soir sur la rue, pour qu’il dégage ce matin avec les encombrants.

-        Parti ? C’est pas vrai ! Déboussolé, Jean avait crié ces derniers mots.

-        Allez, mon Amour, smile !!! Comme tu le dis souvent quand tu jettes des vieux trucs à moi : « Du passé faisons table rase » …

 

vendredi 16 août 2019

Equilibre social et pulvérisation

Vendredi 16 Août... 

Elle se réveilla avec le sentiment que la chaleur en était la raison; ou peut-être était-ce la lumière. Elle se déplia lentement, pour se laisser envahir par cette agréable moiteur du petit matin. C’était peut-être le seul moment de la journée qu’elle considérait n’appartenir qu’à elle. Elle sentait la vie parcourir tout son être. De recroquevillée, pendant la nuit, une façon de se protéger du froid, elle passait à cet état de total épanouissement, de plénitude. Comme si, avec les premières lueurs, elle renaissait à la vie.
Il lui semblait que son corps s’étirait jusqu’à s’exposer tout entier aux chaudes caresses des rayons du soleil, après l’humidité et la chaleur de l’aube. A côté d’elle, elle observa sa sœur faire de même, touchée à son tour par la lumière matinale. 
Et petit à petit, mais assez vite cependant, c’est toutes les sœurs de la communauté qui célébrèrent cette aurore bienfaitrice. A présent, elles étaient toutes prêtes. Il allait falloir se mettre au travail. Elle participait à une entreprise dont la raison sociale pourrait s’énoncer comme suit : import-export à vocation écologique. Au sein de la collectivité, elle avait avec d’autres, beaucoup d’autres, le rôle suivant : il s’agissait pour elle de capter les ressources disponibles et, par un rapide et efficace processus de transformation dont le secret vital était détenu depuis des temps immémoriaux par la communauté, de délivrer une énergie utilisable à la survie non seulement de son groupe mais aussi, dans la mesure du possible, des groupes voisins. Comment cela s’effectuait-il, elle n’en avait pas idée, mais elle savait cependant ô combien son activité propre contribuait au bien-être de l’ensemble. Bien sûr, des spécialistes en bioénergétique auraient été en mesure de lui expliquer tout cela, mais elle préférait s’en tenir à sa connaissance superficielle du mécanisme en jeu et à sa conviction un peu romantique du sujet, qui était que par leur action, elle et toutes ses consœurs contribuaient au bien commun.
Tout n’était pourtant pas rose dans un monde parfait. Il y a deux ou trois ans déjà la communauté avait dû subir des coupes sombres dans sa structure. Une croissance excessive, pouvant amener à la rupture de certaines branches moins prospères, moins « saines », avaient justifié la première opération « d’élagage ». Pour la seconde réduction d’effectif, celle mise en œuvre en fin d’année dernière, la raison en était moins compréhensible, moins évidente. Peut-être s’agissait-il cette fois d’une nuisance indirecte, leur trop rapide expansion étant susceptible d’avoir des conséquences sur le bon équilibre des petits producteurs situés dans leur environnement immédiat. La communauté n’avait clairement pas vocation à faire trop « d’ombre » aux autres, amenuisant ainsi leur propre développement et les affaiblissant involontairement. 
Cette nouvelle taille au sein des effectifs n’avait pas été sans suite.
Pas loin d’elle, elle pouvait constater les dégâts, comme si une maladie dégénérescente touchait à présent des sous-groupes entiers de condisciples.
Perte d’énergie, incapacité à recouvrer la force nécessaire au travail bien fait… Était-ce seulement de la démotivation, ou fallait-il craindre que le mal soit plus profond ?
Ça finissait par se voir, physiquement : des sœurs aux faces pâles, blanchâtres, parfois même des corps boursouflés, des postures de repli sur soi, comme une sorte de rétractation involontaire qui en dirait long sur l’état psychique général de nombre d’entre-elles.
Certaines avaient fini par quitter le groupe, sans être remplacées. Et il en tombait encore sans que l’on sache bien quoi faire pour arrêter cette hécatombe. 
Bien sûr, les frères d’en bas avaient veillé à ce que cela ne nuise pas aux bonnes relations avec les groupes voisins les plus proches, mais la situation générale était vraiment critique.
Dieu merci, deux facteurs vinrent au secours de la communauté. 
Le premier était manifestement endogène : les sous-groupes les plus résistants reprirent lentement le dessus, comme si le bon fonctionnement des camarades les plus robustes avait provoqué une stimulation chez les autres. Cette perception d’une capacité à réagir semblait qui plus est « contagieuse » et les nouvelles branches de la communauté se développaient avec un dynamisme réconfortant. 
Le second fut extérieur et totalement imprévu : une aide tonique à la croissance vint d’on ne sait où, tombant du ciel comme une pluie salvatrice. 
Toujours est-il que même les plus atteintes furent revigorées et reprirent leur travail de transformation et diffusion des ressources énergétiques avec enthousiasme, avec un naturel élan, comme si rien ne s’était passé.

- Ah ! Merci d’être venu, Martin ! Je t‘ai appelé parce que, tu vois, mes chênes n’ont pas très bonne mine. Regarde les feuilles, t’en penses quoi ? 
- Ça ? C’est de l’oïdium, sûr !
- Et alors, on peut faire quelque chose ? Ça a commencé à la repousse, après ton élagage de début Décembre. Y’a deux ans, je ne crois pas me souvenir qu’ils avaient eu ce truc, l’odium…
- L’oïdium ! C’est un champignon parasite, il prend l’aspect d’un… c’est comme un feutre blanc, regarde. Comme il a fait chaud et humide au mois de Mai… ça s’est développé.
- Mais je fais quoi, moi ? Ils ne vont pas crever, quand même ?
- Nooon ! Va chez Gamm-vert, tu achètes un paquet de soufre à mouiller, et tu traites dès ce soir, il n’y a pas trop de vent et la météo ne prévoit pas de pluie pour demain… Tu verras, ils vont se rétablir d’eux-mêmes, c’est costaud, les chênes !
- Et les autres arbres à côté, il n’y a pas de risque ?
- Les chênes ont tout pris, si ça se trouve, ils ont même protégé les autres, en fait. Les arbres échangent, il parait ; par les racines, peut-être …
- Donc je traite que les chênes ?
- Oui. Ça suffira largement. Si tu ne trouves pas de soufre, dilue du lait écrémé, ça marche bien aussi. Pulvérise ce soir !!!

Il a fallu balayer pas mal de feuilles mortes, un peu prématurément, mais après traitement, les cinq chênes ont commencé à se rétablir.  Le prunier, implanté à proximité des deux plus grands, donna début Août une belle récolte de quetsches. Assez pour faire une demi-douzaine de pots de confitures de quetsches, à offrir ou à déguster… 
C’est bon, la confiture de quetsches !

vendredi 9 août 2019

Un moyen de sortir et de s'en sortir

Je touche presque au but. Presque... Une nouvelle par semaine sur Juillet et Août, ça veut donc dire qu'il ne me reste plus, après celle-ci (du vendredi 09 Août), que 3 textes à imaginer et faire paraitre. Grâce à toi, Sergio, je vais avoir été écrivain durant 2 mois... si j'arrive à trouver encore 3 histoires qui tiennent la mer, bien évidemment. Bon, à chaque jour suffit sa peine; bonne lecture!

2004 : La route avait été longue. Du Chesnay, lieu de sa résidence principale, jusqu’au Tour du Parc, son village morbihannais de villégiature, il y avait environ 480 km. Il était sorti fatigué du boulot, avec une semaine hyper chargée, un dossier difficile, et une prise de tête avec un collègue… un con ! Mal au crane. 
Le voyage en voiture n’avait évidemment rien arrangé, même si la nécessité de vigilance au volant l’avait distrait pendant environ quatre heures trente de sa céphalée.
Une fois rangé le sac de fringues dans la penderie et celui de la bouffe dans le frigo, il se dit qu’il irait bien voir la mer. Situé à 100 mètres à peine de la maison, le rivage présentait une tentation à laquelle il choisit de céder. La marée haute était passée de trois heures, mais, avec le gros coeff du jour, l’océan atlantique était encore bien présent.
Arrivé près de la cale, il jeta un regard circulaire sur tout le littoral visible ; à droite, au plus loin, on distinguait la pointe de Penvins et sa petite chapelle. A gauche, c’était la rivière de Penerf avec la tour blanche nommée Tour des Anglais. Et puis, toujours à gauche quoiqu’un peu plus centrale depuis son point d’observation, une balise rouge marquant l’entrée de la rivière, avec son feu blanc ou rouge selon le secteur : le Pignon.
La mer était calme, d’huile comme on dit lorsque sa surface, à force d’être sans ride, semble visqueuse. Pas un pet de vent, ceci expliquant cela…
Il respira un grand coup. Ce spectacle simple envahit tout à coup son âme. Il eut l’impression que le paysage qu’il avait sous les yeux l’enveloppait soudainement, comme s’il était pris dans des bras immenses et protecteurs. Sa lancinante douleur s’évanouit instantanément. 
Il fut certain que cela était dû à cette fusion avec un espace qui l’avait accueilli, à ce franchissement. C’était ainsi, oui, qu’il se le représentait, ce moment de grâce, le franchissement d’une porte…
Au point qu’il se demanda, lui si féru de littérature de science-fiction, s’il allait bien retrouver les choses et les gens tels qu’il les avait laissés en partant vers le bord de mer. Il était peut-être passé dans un univers parallèle ? Mais non, rien n’avait changé, rien n’avait disparu, à part sa migraine.

2024 : Oppressé ! Comment mieux dire ? Il respirait difficilement et il lui semblait que son cœur ne battait pas normalement. Un peu d’hypertension, ou beaucoup, sûrement trop ! C’était un peu comme si tout son corps était soumis à une pression excessive, ou supportait un poids trop lourd pour les capacités physiques de l’homme de 70 ans qu’il était devenu.
Ça lui avait pris après cet appel téléphonique. Les enfants, la famille, des problèmes…
Chaque fois que le téléphone sonnait, il craignait le pire. Pourquoi ? Il ne savait pas. Cette sorte de responsabilité lui était venue tardivement, sans qu’il sache en expliquer les raisons. La vieillesse, c’était sans doute ça. Une prise de conscience du risque, des risques, de la finitude et de l’impossibilité d’agir pour qu’il en soit autrement. Terrible ! Oppressant !!! 
Chaque fois qu’il avait ce sentiment de ne plus avoir de maîtrise sur les évènements, il angoissait. Et là, vraiment, on était au max. Il se sentait faible, sans ressort. Pas même capable d’imaginer le moindre dérivatif, d’échafauder une solution pour sortir de cette pénible situation. Rien. Une sourde panique. Une… oppression.
Et puis, les copains avaient appelé. 
D’abord, par Whatsapp, ils lui avaient envoyé un selfie avec au premier plan, une bouteille de Bas-Armagnac millésimée, de 1949. Puis un message vocal pour lui dire que depuis Plaisir (Yvelines), où ils étaient en train de « s’arsouiller sévère », ils pensaient à lui et regrettaient qu’il ne soit pas des leurs pour rigoler en buvant un coup.
Il les rappela aussi sec. Au moment même où il entendit leurs voix et leurs rires, l’écran de son i-phone se troubla, et il eut le sentiment que son corps tout entier était aspiré au travers du Retina HD à 2 millions de pixels. 
Happé par Apple !!! Et là, soudainement, une tension à 12-7. Plus aucune gêne, 68 pulsations minute et une agréable sensation de légèreté. Guéri, il était guéri ! Forcément, puisque cet appel lui avait fait pousser la porte, puisque les potes l’avaient aidé, guidé et que, par voie de conséquence, il avait pu passer de l’autre côté, avait pu … « franchir ».

2044 : Il venait de recevoir son nouveau modèle de Tube-Vie de chez Nodiziz. 120 000 unités quand même, mais ça les valait. 
Les fulgurantes avancées de la science et de la médecine avait abouti à ça : une sorte de sarcophage ouvert aux deux bouts, dans lequel il suffisait de se glisser pour bénéficier :
- d’un rapide scanner de tout le corps
- d’une identification claire des éventuels dysfonctionnements ou risques encourus
- d’une localisation précise des polypes et autres nodules à supprimer
- d’une éradication immédiate de ceux-ci
- d’un check complet de petits tracas (varices, hypermétropie, arthrose,…) suivi d’un correctif bigrement efficace

L’information initiale comme le résultat après intervention du tube étaient lus grâce à une lentille de contact connectée. Il suffisait de la placer sur l’œil non-directeur (les ophtalmos avaient fait cette recommandation très tôt après la mise en service des Visi-Lenz, pour éviter toute gêne visuelle dans la vie courante) et on recevait les données du Tube-Vie.
Pratique ! Et c’était lisible même les paupières fermées !
Il décida de l’essayer tout de suite, trop impatient qu’il était de bénéficier des dernières innovations de chez Nodiziz, en tête desquelles la sur-tonification musculaire…
« Vas-y » dit-il au tube, ce qui eut pour effet de lancer la procédure de check complet.
Il portait beau ses 90 ans, grâce aux versions successives de Tube-Vie dont il s’était doté depuis bientôt 15 ans : le One, puis l’Excel-Life, puis surtout le fameux et inoubliable Centenial.
Il s’attendait donc à n’être informé que de « modifs mineures », vite prises en charge par la machine.
« Rien à signaler ! Tout va bien. » lut-il. Par réflexe, il cligna des yeux pour réinitialiser l’affichage. « Rien à signaler ! Tout va bien. »
Cela lui parut tout de même étrange. 
Rien ? Par grand-chose, il voulait bien, mais Rien ? …
Il s’est extrait du tube, a pris le temps de respirer, pour ralentir son pouls, puis s’est demandé ce qu’il convenait de faire. 
Appeler le service APV de Nodiziz, bien sûr ! 
Il les eut en ligne presque aussitôt (bon point pour la marque, mais il n’en doutait pas trop, vu le prix de l’engin) : « Bonjour Monsieur. Nous effectuons tout de suite une vérification en ligne. Si vous voulez bien attendre quelques secondes, s’il vous plait…
Ça y est, j’ai le résultat : Monsieur, je suis heureuse de pouvoir vous confirmer que votre Tube-Vie Who-Generation est parfaitement opérationnel ! Avez-vous une autre question, Monsieur ? Sinon, bon usage de notre produit, Monsieur, et… portez-vous bien !!! »
La Visi-Lenz s’étant automatiquement désactivée, il tenta une relance mais savait déjà ce qu’il y lirait, et ça ne manqua pas : « Rien à signaler ! Tout va bien. »
La peur le prit. Ce n’était pas normal, pas normal. Il avait forcément quelque chose. 
Une fois installée, cette angoisse ne s’évanouit pas, et pendant tous les jours qui suivirent, il pria pour que cela cesse. Il devait bien y avoir un moyen d’arrêter tout ça, non ?...


L’article de Ouest-France narrait sommairement le tragique fait divers : « c’est ce vendredi matin qu’a été découvert le corps de Monsieur C. au pied de son espace de vie, situé au 4ièmeniveau, 60 rue John Sturges. D’après les premiers éléments de l’enquête menée par le Préfet des Risques, cet homme de 90 ans aurait ouvert sa porte d’extraction en cas d’incendie sans avoir enfilé son harnais anti-grav. Notre Préfet a saisi cette opportunité, ô combien dramatique, pour rappeler à toutes et tous de bien respecter le strict protocole affiché sur les portes anti-feu lorsque l’on cherche à franchir lesdites portes. »

vendredi 2 août 2019

L'assistante


C'est vendredi (02 août) et il faut donc accomplir son devoir. Je vous laisse à la lecture de cette petite histoire... conjugale (?) et vais vite aller lire la nouvelle du vendredi de Serge. On prend vite des addictions, quand c'est bon pour l'esprit...

Il avait été surpris. C’était la première fois, lui semblait-il, que Nilsi prenait une initiative sans qu’il lui ait demandé quoique ce soit, préalablement.
« Ce soir, y’a Elle et Luiqui repasse sur 813 ; la version de 1957. On regarde ? »
Les assistantes personnelles avaient bien sûr rudement progressé depuis les tout débuts. Alexa, Siri et autres avaient marqué une vraie révolution et déclenché un réel engouement dans les années 20… ou peut-être 10 ; de toute façon, ça datait déjà pas mal. 
Et depuis, l’IA avait fait des bons de géants. Mais quand même…
Se permettre comme ça, d’intervenir sans y avoir été convié, c’était un peu fort de Red Bull.
En même temps, se dit-il, pourquoi pas ? Nilsi savait son goût pour les comédies romantiques, connaissait évidemment par cœur les visioffres de la semaine et aussi son emploi du temps perso de ce soir. Donc, la proposition faisait sens. 
Mais c’est le « on regarde ? » qui l’avait un peu dérouté. Jusque-là, Nilsi s’était toujours montrée discrète, efficace mais sans ostentation, une vraie fée du logis. Et il aimait ça. Son caractère un peu taciturne et assez fréquemment mélancolique se satisfaisait parfaitement de sa présence attentive mais effacée. Nilsi, « la discrète », comme l’appelaient même ses rares amis lorsqu’ils venaient partager un verre, un repas ou un bon movie chez lui.
Il avait dit à Nilsi ce qui conviendrait pour la soirée et hop, tout était prêt, tout était parfait : les verres remplis d’un bon whiskrol, les tartinettes de poujathon, le visiproj pré-cianolité sur le dernier opus de Titanic
« On regarde ? » …
Elle croyait quoi, Nilsi ? Qu’elle allait lui imposer ses choix peut-être ? Admirer le jeu de Kerr et Grant sans attendre son approbation ? Et pourquoi pas verser sa larme à la fin, tant qu’elle y était !!!
Il décida de se replonger dans la notice. Un exercice difficile ; généralement il demandait à Nilsi de lui dire comment faire ceci ou cela, mais là, il ne voulait pas qu’elle soit au courant.
« De l’autonomie sur ce coup, merde ! Je peux le faire ! » se dit-il. « Bon, est-ce qu’il y a des bots à activer pour la calmer dans ses ardeurs, la Miss ? »
La sortir de sa zone de certitude, c’est ce qui semblait être recommandé pour bloquer ses évolutions et son acquisition de nouveaux algorithmes d’interaction.
« Allons-y ! On verra bien… »
Lorsqu’elle renouvela sa demande un peu plus tard, croyant peut-être qu’il n’avait pas entendu la première fois, il répondit d’un air le plus détaché possible : « Non ! Ça ne me dit rien de regarder ce vieux mélo, et de toute façon, je suis pris ce soir, j’ai un rendez-vous avec Chris. » 
Tiens ! Prends ça dans les connexions, ma vieille ! J’aime plus Elle et Lui, t’as un bug, semble-t-il dans ta maîtrise de mon agenda, ou t’est pas à jour, ça va te déséquilibrer un brin…
« Ah ! Pardon ! Alors une autre fois peut-être ? » scanda Nilsi d’une voix blanche. Ça marchait, elle revenait à des modalités transactionnelles plus neutres, et il en était plutôt satisfait…
Hélas, les écarts comportementaux de Nilsi réapparurent quelques temps plus tard, et devinrent notablement plus fréquents.
A titre d’exemple, elle sortit un soir de son silence pour lui dire : « comme je savais que tu allais rentrer tard, je t’ai préparé un plateau pour que tu puisses visioter les infos tranquille… »
Incroyable !!! Des initiatives, sans le consulter d’abord ? Pas de : « tu rentres tard ce soir, que veux-tu que je fasse pour toi ? » Rien ! Madame décide ! Mince, alors !
Chaque fois, il tentait d’adopter la stratégie qui avait fonctionné la première fois.
Ça produisait bien son effet, mais en durant de moins en moins longtemps et il sentait bien comme une pointe d’agacement dans les réactions de plus en plus sèches de Nilsi. 
Ses injonctions à peine déguisées avaient de moins en moins d’efficacité pour la ramener « à la raison ».
Et, un soir, en rentrant du boulot, il lança un « Nilsi, tu me sers un verre, s’il te plait ? » qui demeura sans réponse. Plus de Nilsi, mais un recommandé vocal d’Amazon, qu’il accepta, et qui lui signifiait la plainte déposée par la Compagnie, relativement à un « comportement déviant et de harcèlement moral manifeste » à l’encontre d’un produit de la Marque, en désaccord avec l’ensemble des articles du règlement qu’il avait signé en choisissant Nilsi dans leur catalogue.
Selon Amazon, faute d’un accord amiable encore possible entre leurs avocats et celui qu’il leur indiquerait comme étant son représentant, la Société réclamerait 5000 unités au titre du préjudice moral.
Il se résolut à céder, fit des excuses en bonne et due forme à Nilsi et à Amazon, et apprit à vivre sur un mode plus… consensuel. Tout changeait, et il allait falloir s’habituer à plus de respect dans les relations homme-machine.
Un an plus tard, les exemples de ce type étant devenus légion, le Parlement vota une loi (dénommée par la Presse comme « loi Amazon ») interdisant cette expression « homme-machine », notoirement discriminatoire, en lui substituant la formule « homme-Alexa », en référence bien sûr aux « assistantes-combattantes » de la première heure…