vendredi 9 août 2019

Un moyen de sortir et de s'en sortir

Je touche presque au but. Presque... Une nouvelle par semaine sur Juillet et Août, ça veut donc dire qu'il ne me reste plus, après celle-ci (du vendredi 09 Août), que 3 textes à imaginer et faire paraitre. Grâce à toi, Sergio, je vais avoir été écrivain durant 2 mois... si j'arrive à trouver encore 3 histoires qui tiennent la mer, bien évidemment. Bon, à chaque jour suffit sa peine; bonne lecture!

2004 : La route avait été longue. Du Chesnay, lieu de sa résidence principale, jusqu’au Tour du Parc, son village morbihannais de villégiature, il y avait environ 480 km. Il était sorti fatigué du boulot, avec une semaine hyper chargée, un dossier difficile, et une prise de tête avec un collègue… un con ! Mal au crane. 
Le voyage en voiture n’avait évidemment rien arrangé, même si la nécessité de vigilance au volant l’avait distrait pendant environ quatre heures trente de sa céphalée.
Une fois rangé le sac de fringues dans la penderie et celui de la bouffe dans le frigo, il se dit qu’il irait bien voir la mer. Situé à 100 mètres à peine de la maison, le rivage présentait une tentation à laquelle il choisit de céder. La marée haute était passée de trois heures, mais, avec le gros coeff du jour, l’océan atlantique était encore bien présent.
Arrivé près de la cale, il jeta un regard circulaire sur tout le littoral visible ; à droite, au plus loin, on distinguait la pointe de Penvins et sa petite chapelle. A gauche, c’était la rivière de Penerf avec la tour blanche nommée Tour des Anglais. Et puis, toujours à gauche quoiqu’un peu plus centrale depuis son point d’observation, une balise rouge marquant l’entrée de la rivière, avec son feu blanc ou rouge selon le secteur : le Pignon.
La mer était calme, d’huile comme on dit lorsque sa surface, à force d’être sans ride, semble visqueuse. Pas un pet de vent, ceci expliquant cela…
Il respira un grand coup. Ce spectacle simple envahit tout à coup son âme. Il eut l’impression que le paysage qu’il avait sous les yeux l’enveloppait soudainement, comme s’il était pris dans des bras immenses et protecteurs. Sa lancinante douleur s’évanouit instantanément. 
Il fut certain que cela était dû à cette fusion avec un espace qui l’avait accueilli, à ce franchissement. C’était ainsi, oui, qu’il se le représentait, ce moment de grâce, le franchissement d’une porte…
Au point qu’il se demanda, lui si féru de littérature de science-fiction, s’il allait bien retrouver les choses et les gens tels qu’il les avait laissés en partant vers le bord de mer. Il était peut-être passé dans un univers parallèle ? Mais non, rien n’avait changé, rien n’avait disparu, à part sa migraine.

2024 : Oppressé ! Comment mieux dire ? Il respirait difficilement et il lui semblait que son cœur ne battait pas normalement. Un peu d’hypertension, ou beaucoup, sûrement trop ! C’était un peu comme si tout son corps était soumis à une pression excessive, ou supportait un poids trop lourd pour les capacités physiques de l’homme de 70 ans qu’il était devenu.
Ça lui avait pris après cet appel téléphonique. Les enfants, la famille, des problèmes…
Chaque fois que le téléphone sonnait, il craignait le pire. Pourquoi ? Il ne savait pas. Cette sorte de responsabilité lui était venue tardivement, sans qu’il sache en expliquer les raisons. La vieillesse, c’était sans doute ça. Une prise de conscience du risque, des risques, de la finitude et de l’impossibilité d’agir pour qu’il en soit autrement. Terrible ! Oppressant !!! 
Chaque fois qu’il avait ce sentiment de ne plus avoir de maîtrise sur les évènements, il angoissait. Et là, vraiment, on était au max. Il se sentait faible, sans ressort. Pas même capable d’imaginer le moindre dérivatif, d’échafauder une solution pour sortir de cette pénible situation. Rien. Une sourde panique. Une… oppression.
Et puis, les copains avaient appelé. 
D’abord, par Whatsapp, ils lui avaient envoyé un selfie avec au premier plan, une bouteille de Bas-Armagnac millésimée, de 1949. Puis un message vocal pour lui dire que depuis Plaisir (Yvelines), où ils étaient en train de « s’arsouiller sévère », ils pensaient à lui et regrettaient qu’il ne soit pas des leurs pour rigoler en buvant un coup.
Il les rappela aussi sec. Au moment même où il entendit leurs voix et leurs rires, l’écran de son i-phone se troubla, et il eut le sentiment que son corps tout entier était aspiré au travers du Retina HD à 2 millions de pixels. 
Happé par Apple !!! Et là, soudainement, une tension à 12-7. Plus aucune gêne, 68 pulsations minute et une agréable sensation de légèreté. Guéri, il était guéri ! Forcément, puisque cet appel lui avait fait pousser la porte, puisque les potes l’avaient aidé, guidé et que, par voie de conséquence, il avait pu passer de l’autre côté, avait pu … « franchir ».

2044 : Il venait de recevoir son nouveau modèle de Tube-Vie de chez Nodiziz. 120 000 unités quand même, mais ça les valait. 
Les fulgurantes avancées de la science et de la médecine avait abouti à ça : une sorte de sarcophage ouvert aux deux bouts, dans lequel il suffisait de se glisser pour bénéficier :
- d’un rapide scanner de tout le corps
- d’une identification claire des éventuels dysfonctionnements ou risques encourus
- d’une localisation précise des polypes et autres nodules à supprimer
- d’une éradication immédiate de ceux-ci
- d’un check complet de petits tracas (varices, hypermétropie, arthrose,…) suivi d’un correctif bigrement efficace

L’information initiale comme le résultat après intervention du tube étaient lus grâce à une lentille de contact connectée. Il suffisait de la placer sur l’œil non-directeur (les ophtalmos avaient fait cette recommandation très tôt après la mise en service des Visi-Lenz, pour éviter toute gêne visuelle dans la vie courante) et on recevait les données du Tube-Vie.
Pratique ! Et c’était lisible même les paupières fermées !
Il décida de l’essayer tout de suite, trop impatient qu’il était de bénéficier des dernières innovations de chez Nodiziz, en tête desquelles la sur-tonification musculaire…
« Vas-y » dit-il au tube, ce qui eut pour effet de lancer la procédure de check complet.
Il portait beau ses 90 ans, grâce aux versions successives de Tube-Vie dont il s’était doté depuis bientôt 15 ans : le One, puis l’Excel-Life, puis surtout le fameux et inoubliable Centenial.
Il s’attendait donc à n’être informé que de « modifs mineures », vite prises en charge par la machine.
« Rien à signaler ! Tout va bien. » lut-il. Par réflexe, il cligna des yeux pour réinitialiser l’affichage. « Rien à signaler ! Tout va bien. »
Cela lui parut tout de même étrange. 
Rien ? Par grand-chose, il voulait bien, mais Rien ? …
Il s’est extrait du tube, a pris le temps de respirer, pour ralentir son pouls, puis s’est demandé ce qu’il convenait de faire. 
Appeler le service APV de Nodiziz, bien sûr ! 
Il les eut en ligne presque aussitôt (bon point pour la marque, mais il n’en doutait pas trop, vu le prix de l’engin) : « Bonjour Monsieur. Nous effectuons tout de suite une vérification en ligne. Si vous voulez bien attendre quelques secondes, s’il vous plait…
Ça y est, j’ai le résultat : Monsieur, je suis heureuse de pouvoir vous confirmer que votre Tube-Vie Who-Generation est parfaitement opérationnel ! Avez-vous une autre question, Monsieur ? Sinon, bon usage de notre produit, Monsieur, et… portez-vous bien !!! »
La Visi-Lenz s’étant automatiquement désactivée, il tenta une relance mais savait déjà ce qu’il y lirait, et ça ne manqua pas : « Rien à signaler ! Tout va bien. »
La peur le prit. Ce n’était pas normal, pas normal. Il avait forcément quelque chose. 
Une fois installée, cette angoisse ne s’évanouit pas, et pendant tous les jours qui suivirent, il pria pour que cela cesse. Il devait bien y avoir un moyen d’arrêter tout ça, non ?...


L’article de Ouest-France narrait sommairement le tragique fait divers : « c’est ce vendredi matin qu’a été découvert le corps de Monsieur C. au pied de son espace de vie, situé au 4ièmeniveau, 60 rue John Sturges. D’après les premiers éléments de l’enquête menée par le Préfet des Risques, cet homme de 90 ans aurait ouvert sa porte d’extraction en cas d’incendie sans avoir enfilé son harnais anti-grav. Notre Préfet a saisi cette opportunité, ô combien dramatique, pour rappeler à toutes et tous de bien respecter le strict protocole affiché sur les portes anti-feu lorsque l’on cherche à franchir lesdites portes. »

1 commentaire:

  1. Où il est question, pour commencer, de mer et pour finir de harnais … anti-grav. On reconnaît le rédacteur-marin, rêvant de son Kibell … Comme un goéland mélancolique ?
    Staccato, il en arrive de belles à tes personnages nonagénaires ! Ici Monsieur C. qui fait la une de Ouest-France. Trois ans plus tard Jean-Philippe, alias Andante, qui décompte ses années devant sa piscine verte.
    Tout ça est bien ficelé. On se demande où tu trouves toutes ces idées.

    A. de Valescure

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