Elle se réveilla avec le sentiment que la chaleur en était la raison; ou peut-être était-ce la lumière. Elle se déplia lentement, pour se laisser envahir par cette agréable moiteur du petit matin. C’était peut-être le seul moment de la journée qu’elle considérait n’appartenir qu’à elle. Elle sentait la vie parcourir tout son être. De recroquevillée, pendant la nuit, une façon de se protéger du froid, elle passait à cet état de total épanouissement, de plénitude. Comme si, avec les premières lueurs, elle renaissait à la vie.
Il lui semblait que son corps s’étirait jusqu’à s’exposer tout entier aux chaudes caresses des rayons du soleil, après l’humidité et la chaleur de l’aube. A côté d’elle, elle observa sa sœur faire de même, touchée à son tour par la lumière matinale.
Et petit à petit, mais assez vite cependant, c’est toutes les sœurs de la communauté qui célébrèrent cette aurore bienfaitrice. A présent, elles étaient toutes prêtes. Il allait falloir se mettre au travail. Elle participait à une entreprise dont la raison sociale pourrait s’énoncer comme suit : import-export à vocation écologique. Au sein de la collectivité, elle avait avec d’autres, beaucoup d’autres, le rôle suivant : il s’agissait pour elle de capter les ressources disponibles et, par un rapide et efficace processus de transformation dont le secret vital était détenu depuis des temps immémoriaux par la communauté, de délivrer une énergie utilisable à la survie non seulement de son groupe mais aussi, dans la mesure du possible, des groupes voisins. Comment cela s’effectuait-il, elle n’en avait pas idée, mais elle savait cependant ô combien son activité propre contribuait au bien-être de l’ensemble. Bien sûr, des spécialistes en bioénergétique auraient été en mesure de lui expliquer tout cela, mais elle préférait s’en tenir à sa connaissance superficielle du mécanisme en jeu et à sa conviction un peu romantique du sujet, qui était que par leur action, elle et toutes ses consœurs contribuaient au bien commun.
Tout n’était pourtant pas rose dans un monde parfait. Il y a deux ou trois ans déjà la communauté avait dû subir des coupes sombres dans sa structure. Une croissance excessive, pouvant amener à la rupture de certaines branches moins prospères, moins « saines », avaient justifié la première opération « d’élagage ». Pour la seconde réduction d’effectif, celle mise en œuvre en fin d’année dernière, la raison en était moins compréhensible, moins évidente. Peut-être s’agissait-il cette fois d’une nuisance indirecte, leur trop rapide expansion étant susceptible d’avoir des conséquences sur le bon équilibre des petits producteurs situés dans leur environnement immédiat. La communauté n’avait clairement pas vocation à faire trop « d’ombre » aux autres, amenuisant ainsi leur propre développement et les affaiblissant involontairement.
Cette nouvelle taille au sein des effectifs n’avait pas été sans suite.
Pas loin d’elle, elle pouvait constater les dégâts, comme si une maladie dégénérescente touchait à présent des sous-groupes entiers de condisciples.
Perte d’énergie, incapacité à recouvrer la force nécessaire au travail bien fait… Était-ce seulement de la démotivation, ou fallait-il craindre que le mal soit plus profond ?
Ça finissait par se voir, physiquement : des sœurs aux faces pâles, blanchâtres, parfois même des corps boursouflés, des postures de repli sur soi, comme une sorte de rétractation involontaire qui en dirait long sur l’état psychique général de nombre d’entre-elles.
Certaines avaient fini par quitter le groupe, sans être remplacées. Et il en tombait encore sans que l’on sache bien quoi faire pour arrêter cette hécatombe.
Bien sûr, les frères d’en bas avaient veillé à ce que cela ne nuise pas aux bonnes relations avec les groupes voisins les plus proches, mais la situation générale était vraiment critique.
Dieu merci, deux facteurs vinrent au secours de la communauté.
Le premier était manifestement endogène : les sous-groupes les plus résistants reprirent lentement le dessus, comme si le bon fonctionnement des camarades les plus robustes avait provoqué une stimulation chez les autres. Cette perception d’une capacité à réagir semblait qui plus est « contagieuse » et les nouvelles branches de la communauté se développaient avec un dynamisme réconfortant.
Le second fut extérieur et totalement imprévu : une aide tonique à la croissance vint d’on ne sait où, tombant du ciel comme une pluie salvatrice.
Toujours est-il que même les plus atteintes furent revigorées et reprirent leur travail de transformation et diffusion des ressources énergétiques avec enthousiasme, avec un naturel élan, comme si rien ne s’était passé.
- Ah ! Merci d’être venu, Martin ! Je t‘ai appelé parce que, tu vois, mes chênes n’ont pas très bonne mine. Regarde les feuilles, t’en penses quoi ?
- Ça ? C’est de l’oïdium, sûr !
- Et alors, on peut faire quelque chose ? Ça a commencé à la repousse, après ton élagage de début Décembre. Y’a deux ans, je ne crois pas me souvenir qu’ils avaient eu ce truc, l’odium…
- L’oïdium ! C’est un champignon parasite, il prend l’aspect d’un… c’est comme un feutre blanc, regarde. Comme il a fait chaud et humide au mois de Mai… ça s’est développé.
- Mais je fais quoi, moi ? Ils ne vont pas crever, quand même ?
- Nooon ! Va chez Gamm-vert, tu achètes un paquet de soufre à mouiller, et tu traites dès ce soir, il n’y a pas trop de vent et la météo ne prévoit pas de pluie pour demain… Tu verras, ils vont se rétablir d’eux-mêmes, c’est costaud, les chênes !
- Et les autres arbres à côté, il n’y a pas de risque ?
- Les chênes ont tout pris, si ça se trouve, ils ont même protégé les autres, en fait. Les arbres échangent, il parait ; par les racines, peut-être …
- Donc je traite que les chênes ?
- Oui. Ça suffira largement. Si tu ne trouves pas de soufre, dilue du lait écrémé, ça marche bien aussi. Pulvérise ce soir !!!
Il a fallu balayer pas mal de feuilles mortes, un peu prématurément, mais après traitement, les cinq chênes ont commencé à se rétablir. Le prunier, implanté à proximité des deux plus grands, donna début Août une belle récolte de quetsches. Assez pour faire une demi-douzaine de pots de confitures de quetsches, à offrir ou à déguster…
C’est bon, la confiture de quetsches !
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