vendredi 23 août 2019

Un avenir incertain

Avant dernière nouvelle du challenge avec Serge. Pour faire du mieux possible, j'ai suivi les conseils  avisés de Valérie et Vincent (merci à eux) et ai fait en sorte d'être plus concis. Pas simple, pour moi! Mais j'ai tout de même réduit mon texte originel de 9,8% (selon les statistiques de Word). A vous de juger. Bonne lecture :

« Jean, n’oublie pas de descendre le vieux secrétaire du Grand-Père ! Tu as promis de faire du rangement là-haut, je te rappelle… ». 

Il se rappelait. 

Ce meuble, il le revoyait, dans la pièce que Joseph Renaudon avait transformée en bureau, placé contre le mur opposé à la porte d’entrée, à côté de sa table de travail. Le secrétaire et le dos un peu vouté de son Grand-Père ne faisaient plus qu’un dans son souvenir.

La table ? Il n’était pas très sûr de ce qu’elle était devenue. Peut-être son frère l’avait-il récupérée au moment de la vente de la maison ? 

Lui avait gardé le secrétaire, sans bien savoir à quoi il pourrait servir. Et il n’avait pas su. 

Sa femme Julia non plus, c’était le moins qu’on puisse dire ! 

« Moche, vieux, pas notre style, peut-être en le repeignant… »

Il l’avait remisé au grenier. Maintenant, avec l’arrivée d’un petit fils, il allait devoir transformer leur grenier en chambre, pour le petit bonhomme. 

Exit, le secrétaire ! Allez hop, du balai !

Le meuble s’avéra moins lourd que l’idée qu’il s’en faisait. Il le descendit sans trop d’effort par l’escalier à pas japonais et le déposa au milieu du couloir, pour une petite pause quand même. Il sourit : pas si lourd, le secrétaire, mais moins vaillant qu’autrefois, le déménageur ! 

La porte inférieure s’entrouvrit. Dedans, rien, sauf les deux tablettes divisant en trois le volume de rangement. Machinalement, il referma la porte et donna un tour de clef, puis tira sur la petite poignée en bois sculpté du tiroir supérieur. Là non plus, rien… 

Ah si, tiens ! Le fond du tiroir était recouvert d’une feuille de papier en épousant presque le contour. Avec l’ongle de son index droit, il parvint à attraper la feuille par le milieu d’un des côtés et réussit à l’extraire sans la déchirer. Elle était un peu jaunie par le temps et un des angles était abîmé et noirci, comme si on avait cherché à brûler la feuille, puis renoncé, allez savoir pourquoi.

Sur sa face non visible dans le tiroir, il découvrit quelque chose d’imprimé. Des mots, des lignes de mots, environ une demi-douzaine de mots par ligne, le tout recouvrant la feuille en formant comme un grand rectangle gris.

« Impression en mode justifié » pensa-t-il à haute voix. « Lucida handwriting - taille de police : 10 - majuscules - italique » rajouta-t-il avec un brin d’autosatisfaction, cette fois tacitement. Ses connaissances professionnelles d’imprimeur avaient pris le dessus sur son étonnement, pendant quelques secondes.

« Bon. Voyons. Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Il entreprit de lire cette étrange juxtaposition de termes sans relation logique apparente :

 

JOSEPH AVIATION VICTOR-HUGO CHAPEAUX BUICK ACCIDENT ANTIBES VACANCES ROBERT COMMUNALE TABLEAU-NOIR PARIS …

 

Le prénom de son Grand-Père démarrait la série. Étonnant ! Un lien avec les mots suivants ?

Oui !!! Il avait été pilote d’avion. Victor Hugo ? Bingo ! Joseph lui récitait des poèmes tirés de la Légende des siècles quand il était petit, comme Après la bataille : « Donne lui tout de même à boire, dit mon Père » …

Les chapeaux !!! Chaque fois qu’il allait en vacances chez ses Grands-Parents, à Antibes, Joseph l’emmenait à Juan-les-Pins pour lui acheter un nouveau couvre-chef, plutôt une casquette d’ailleurs dans son souvenir de gosse.

Il allait continuer son déchiffrage, sauf que, sauf que… Joseph était bien mort dans un accident de voiture, une Buick Skylark Sedan, et ne pouvait donc pas être l’auteur de ces mots, ou alors il était voyant, ou ressuscité. Et puis, un peu plus loin, il lut :

 

BRADBURY ANTIGONE WELLES LUGE REVELATION BAC JANSON

 

Là, ça le concernait directement, et bien après la mort du Grand-Père.

Sa découverte de la science-fiction, d’Anouilh, de Citizen Kane, sa prépa à Janson de Sailly … Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qui avait écrit tout ça ? Il chercha instinctivement le dernier mot de la page, mais celui-ci avait disparu avec le coin brûlé. Alors, avant même de remonter plus haut, un vertige le prit, sa vision se brouilla, il se mit à trembler et la feuille lui échappa des mains.

Il comprit d’un seul coup que cette feuille contenait toute sa vie, en une sorte de code morse, mot après mot, ligne après ligne. Pourquoi, comment, il l’ignorait, mais cette feuille lui était adressée, destinée !

Ne pas céder à la panique. Qu’allait-il faire ? Ramasser la feuille, la lire attentivement pour identifier tout ce qu’il avait déjà vécu, et passer le cap en plongeant alors dans son propre avenir ? Chercher ensuite à décoder les mots, les enchainements de situations énoncées pour essayer de saisir ce qui lui surviendrait, au fil des ans.

Non, non, non !!! C’était fou. Il ne fallait pas. Mais la curiosité, hein, la curiosité !

Il prit une décision : attendre, prendre le temps. 

« Prendre le temps… » Il rit intérieurement : la formule était bien adaptée aux circonstances, vraiment. 

Puis, de nouveau sérieux, il plia la feuille pour ne pas voir les lignes et la remit dans le tiroir. Après une bonne (pas sûr !) nuit de sommeil, il verrait.

Il se réveilla assez tard. Le réveil projetait au plafond 10 heures 04 en chiffres rouges. 

Il s’était longtemps retourné dans son lit, il croyait même se souvenir d’un « 03 : 44 », puis avait dû sombrer dans un sommeil comateux au petit matin. 

Il s’obligea à ne pas courir pour rouvrir le tiroir, se leva en affectant une sérénité qui l’avait pourtant abandonné dès qu’il avait ouvert les yeux, se dirigea vers la salle de bain et prit une douche chaude. Allez ! Cette fois, il pouvait se donner le droit d’être fébrile et de déplier à nouveau cette maudite feuille.

Arrivé dans le couloir, son cœur accéléra ; il le sentait battre.

-        Julia ? Chérie ? Où est le secrétaire de Grand-Père ?

-        Parti, Dieu merci ! Je l’ai mis hier soir sur la rue, pour qu’il dégage ce matin avec les encombrants.

-        Parti ? C’est pas vrai ! Déboussolé, Jean avait crié ces derniers mots.

-        Allez, mon Amour, smile !!! Comme tu le dis souvent quand tu jettes des vieux trucs à moi : « Du passé faisons table rase » …

 

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