Première nouvelle (pour le 05 juillet):
Elle a pour titre "Demande à la lune" et elle fut écrite en 2014. Il fallait bien que je tape dans mes archives (mes billes d'avance comme dit Serge) pour avoir une petite chance de tenir la distance...
Tout avait commencé à l’âge de 5 ou 6 ans, c’est du moins le souvenir qu’en avait Joseph. Mais sans doute la formule, la réplique plutôt, qui scanda une partie de son existence était-elle antérieure. Simplement, Joseph ne parvenait pas à accéder àdes évènements plus anciens.
C’est, paraît-il, assez naturel, du moins c’est ce que nous affirme la plupart des pédiatres. Joseph ne se remémorait pas non plus ce que fut sa demande, celle qui déclencha tout : une envie de quelque chose d’un peu particulier, d’exceptionnel peut-être, un jouet sans doute, un tantinet trop cher pour ses parents.
Probablement…
En tout cas la réponse fut marquante, cinglante même!
« Rêve !!! »
« Ou alors », ajouta sa mère, « t’as qu’à demander à la lune ».
Bref, le jouet attendrait. Depuis cette date, il entendit cent fois sa mère lui opposer la lune, chaque fois que les désirs de son fils lui semblaient excessifs.
Cela ne le découragea pas pour autant. Dans son âme d’enfant, il s’était fait à l’idée qu’il y avait là comme de la « normalité ». C’était juste !!! Si l’exigence était forte, il fallait bien une réponse qui soit extraordinaire. Et la lune, comme juge, avait bien toute la respectabilité que l’on peut accorder d’emblée à l’astre de nos nuits.
Pourquoi donc la lune n’aurait-‐elle pas eu ce droit à sanction, à décision suprême ? Obtenir d’elle, et d’elle seule, gain de cause, c’était acceptable, voire valorisant, à la hauteur de l’attente et du besoin. Joseph respecta donc la lune.
Il chercha dès lors à trouver le bon moyen de lui adresser ses suppliques directement et seulement lorsque le jeu en vaudrait la chandelle, évidemment.
Personne ne sera surpris d’apprendre que ses tentatives restèrent vaines.
Bien sûr, il lui arrivait d’obtenir satisfaction ; le cadeau souhaité, le privilège convoité, le service requis, Joseph le recevait parfois. Mais il sentait bien au fond de lui qu’il s’était agi là d’un concours de circonstances favorables dans lequel la lune n’avait joué aucun rôle ; un coup de pot, en somme !
Et du coup, le résultat en devenait presque décevant aux yeux du jeune homme.
Nous parlons d’un jeune homme car le temps n’avait rien changé à l’affaire et sa conviction d’une toute puissance de la lune était demeurée inébranlable.
La rébellion adolescente de Joseph s’était déportée sur d’autres thématiques, lui évitant ainsi de douter d’une lune confidente, à l’écoute. Il continuait d’y croire. Pour peu qu’on sache comment s’y prendre, on pouvait réussir...
C’était d’ailleurs le seul problème : comment s’y prendre ?
Les échecs successifs du garçon n’avaient en rien découragé son ardeur, son obstination devrait-on dire ; il persistait.
Tout au plus avait-il choisi de mieux « équilibrer » ses revendications.
Constatant la répétition des refus de Séléné, il n’en avait conçu nul ressentiment mais plutôt la conviction que l’astre requérait le respect : il ne fallait pas, pour avoir une chance d’être entendu, l’interpeller pour un oui ou pour un non. Il s’agissait de cibler ses demandes avec plus de circonspection, et aussi de découvrir la meilleure méthode pour s’adresser à notre si merveilleux satellite.
Il fit donc des recherches, écumant les bibliothèques, consultant des ouvrages scientifiques ou mystiques, balayant même Google en tous sens, en quête du plus petit indice comme des plus improbables contacts qui l’auraient mis sur la bonne voie.
Rien n’y fit.
Il restait bredouille et craignait de plus en plus de le demeurer jusqu’à la fin des temps.
Jusqu’au jour où...
La jeune femme ne payait pas de mine, ce qui ne veut pas dire qu’elle était quelconque.
Elle était même assez jolie, avec sa peau au teint très clair, presque diaphane. Mais elle n’en faisait pas des tonnes ; pas de maquillage, une robe simple, sans « chichi ».
Joseph l’avait immédiatement remarquée, dans ce train de banlieue qu’il avait pris par erreur, souhaitant un direct pour Versailles-Chantiers et non pas cet omnibus qui semblait inventer des gares tant il se trainait.
Il s’assit en face d’elle (une chance cette place libre ; un signe ?).
Elle lisait un livre, ouvert en grand sur ses genoux nus (sa robe d’été était agréablement courte). C’était un catalogue d’exposition, celle des œuvres du peintre Turner, regroupées au Grand Palais. Joseph fut stupéfait : le livre était ouvert sur une reproduction en double page, le « clair de lune » !!!
Il ne lui en fallut pas plus à Joseph pour comprendre, pour SAVOIR.
C’était elle, c’était l’incarnation de la lune. La lune était enfin face à lui, ici, à cet instant, dans ce train ! Lui parler, vite, trouver quelque chose à lui dire, à lui demander plutôt !
Il devait saisir sa chance, maintenant, dans ce wagon ! Il se leva, ce qui incita la jeune femme à lever les yeux et à le regarder, bien en face.
« Voulez-vous m’épouser, Mademoiselle ? » C’est tout ce qui lui était venu à l’esprit, et après tout, quelque autre demande que celle-là pouvait être à la hauteur, se dit Joseph.
A cet instant, le bruit d’un Klaxon signalant l’ouverture des portes automatiques du compartiment se fit entendre. La jeune fille pâle referma doucement son livre, se leva, lui sourit, glissa son bouquin dans son sac, et d’une démarche qui parut dans l’instant aérienne à Joseph, elle se dirigea vers la sortie, pour descendre sur le quai, le train s’étant arrêté pour la nième fois (à Meudon-Bellevue, nota Joseph), et puis...
elle s’éclipsa.
Joseph sut, au plus profond de son être, que l’opportunité de demander quoique ce soit à la lune ne se représenterait plus jamais à lui.
Très jolie nouvelle, j'ai envie de dire conte. Je ne sais pourquoi ce "ne plus avoir aucun désir extraordinaire" de Joseph, me renvoie à cette maxime de Mark Twain : "Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait". Mais cette pensée a-t-elle sa place dans un conte ?
RépondreSupprimerAndante