Le goéland mélancolique

Le goéland mélancolique

samedi 27 juillet 2019

Entrez dans la danse

Tenir, tenir !!! Avec un peu de retard et de difficulté, j'en arrive à la quatrième étape de mon parcours d'écriture. Quatre nouvelles, comme Serge. Tenir, tenir...

D’abord, il y avait eu ce terrible accident. Un crissement de pneus, strident. Et puis, le verre brisé, les tôles pliées sous l’effet du choc…
Après ? L’hôpital, longtemps, très longtemps…
Le mois dernier, on l’avait autorisé à rentrer chez lui.
Mais il avait des trous de mémoire, des blancs, des manques, comme des pans arrachés à son existence, disséminés tout au long de ce qu’il pensait être le déroulé de sa vie d’avant. 
Depuis quelques temps cependant, ça allait mieux, bien mieux même. 
Les souvenirs resurgissaient, un à un, par l’effort qu’il s’imposait pour les faire émerger.
Il s’était en effet astreint à une discipline quotidienne : chaque matin, il s’installait à son bureau pour reconstituer son passé. 
Il fermait d’abord les yeux, pour que des images se forment, puis il retranscrivait tout ce qu’il voyait apparaitre derrière ses paupières closes. 
C’est ainsi qu’il s’était souvenu de ses parents, grâce à des scènes d’enfance qui avaient surgi, souvent précises, presque photographiques, mais aussi parfois floues, comme fantasmées. 
Grâce à ce travail, il avait un jour pu dire à cet homme qui lui était jusque-là inconnu : « bonjour Papa ».
Son père l’avait serré dans ses bras. Larmes mêlées…
Depuis peu, de nouveaux flashes apparaissaient lors de ses séances d’écriture :
Derrière ses yeux clos, il lui semble qu’elle tourne, qu’elle virevolte. 
Après les avoir rouverts, il consigne avec application: « elle tourne, elle virevolte ». 
Qui peut-elle bien être ? Ses yeux se ferment, à nouveau, pour provoquer sa « cécité créatrice », comme il l’appelle.
La jeune et jolie femme tourne sur elle-même, vite, les bras levés. 
Il lui semble parfois que sa robe légère se vrille et s’enroule sur son corps, de par le mouvement rapide de rotation qu’elle s’impose. Ses pieds semblent joints ; peut-être maitrise-t-elle l’art des pointes ?
Les médecins ont vite compris tout le bénéfice que leur patient pouvait tirer de cette thérapie originale, en l’alertant toutefois sur ses limites : « vous savez, n’en attendez tout de même pas trop, vous ne retrouverez sans doute pas intégralement votre mémoire. Il faut aussi que vous concentriez votre esprit sur le présent, pour vous forger de nouveaux souvenirs. Votre vie ne doit pas se résumer à votre ancienne vie ! »
Oui, oui… Bien sûr ! Mais elle est si belle, si réelle aussi…
Il faut bien qu’il la fasse danser dans sa tête, pour qu’un jour peut-être, il puisse la nommer. 
Était-ce une parente, une amie, une amante, une fiancée perdue durant sa jeunesse, perdue elle aussi dans un recoin caché de son cerveau.
Chaque matin, il s’installait à son bureau en priant pour que la vision fut là, nette et féérique. 
Elle tournait, encore et encore, et des maux de tête lui venaient, dus à l’effort consenti pour essayer de se rappeler quelque chose, son nom, une circonstance, un événement lié à elle… ou à lui. 
Il en était certain, il avait vécu ce moment de grâce, il commençait même à entendre la musique sur laquelle la jeune fille dansait. La valse du Baron tsigane…
C’était un signe. Il en était sûr, ça finirait par lui revenir.
Comme tous les matins précédents, avec regret, un peu fatigué aussi, il interrompit sa tournoyante projection mentale et la séance d’écriture, en priant pour que demain, il parvienne à se souvenir de tout ! Et, comme chaque matin, il quitta son bureau.
« Bonjour Monsieur ! » lui lança Madame Gray, une vieille dame venant tous les jeudis pour épousseter les meubles et casser un ou deux bibelots.

« Bonjour ! Je vous laisse la place. Je n’ai pas trop mis de désordre aujourd’hui, vous ne devriez pas avoir trop de travail… A demain »

« A demain, Monsieur ! »

Madame Gray, dès la sortie du convalescent, prenant le pouvoir sur les lieux, entama son ouvrage. 
Passer son plumeau sur le bureau, déplacer le calendrier perpétuel et le mug rempli de crayons, et puis et puis… la curiosité aidant, ouvrir le couvercle de cette jolie boîte en marqueterie. 
Il s’agissait d’une boîte à musique ancienne, avec à l’intérieur du couvercle trois miroirs placés en arc de cercle. Ils reflétaient l’image d’une petite figurine représentant une danseuse d’opéra, en tutu blanc, effectuant grâce à un aimant dissimulé sous le faux parquet de la boîte, une rotation élégante, avec les bras se rejoignant au-dessus de la tête, une jambe tendue avec le pied en prolongement, sur la pointe, l’autre jambe étant gracieusement et légèrement repliée le long de la première. 
En ouvrant la boite, le mécanisme s’enclencha et la petite danseuse se mit à tournoyer, sur l’air de la valse du Baron tsigane… 


jeudi 25 juillet 2019

Le meunier découragé

Avançons et faisons paraître ma production attachée au19 juillet. Pour changer un peu, voici une petite fable. Serge a provoqué la chose en proposant deux autres fins et une morale à ma nouvelle « Demande à la lune ».
Et en plus, j’ai trouvé que sa fin à lui était bien plus séduisante et mélancolique que la mienne.
Ça a du bon d’avoir des copains brillants...
Avant de vous faire lire la fable, je vous soumets la « Serge-alternative »:

La jeune fille pâle referma doucement son livre, se leva, lui sourit, glissa son bouquin dans son sac, et d’une démarche qui parut dans l’instant aérienne à Joseph, elle se dirigea vers la sortie. Le train s’étant arrêté pour la nième fois, à Meudon Bellevue, nota Joseph. Arrivée à la porte du wagon, elle se retourna vers Joseph : « Alors, vous venez ? ».

Joseph sut, au plus profond de son être, que l’opportunité de demander quoique ce soit à la lune ne se représenterait plus jamais à lui. Il se précipita. Quelques instants plus tard, en sortant de la gare avec l’inconnue, il décida à compter de ce jour de ne plus avoir aucun désir extraordinaire, renonça à ses fantasmes lunaires car son crédit était épuisé, constata avec le temps qu’il ne s’en portait pas plus mal, se contentant tout au plus, et cela sans la moindre amertume, de penser que pendant toutes ces années, la lune attendait son heure…     

Ou

La jeune fille pâle referma doucement son livre, se , lui sourit, glissa son bouquin dans son sac, et d’une démarche qui parut dans l’instant aérienne à Joseph, elle se dirigea vers la sortie. Le train s’étant arrêté pour la nième fois, à Meudon Bellevue, nota Joseph. Arrivée à la porte du wagon, elle se retourna vers Joseph : « Alors, vous venez ? ».

Joseph sut, au plus profond de son être, que l’opportunité de demander quoique ce soit à la lune ne se représenterait plus jamais à lui. Il paniqua. Quelques instants plus tard, la porte du train se refermait et lui était toujours scotché à son siège. Il décida à compter de ce jour de ne plus avoir aucun désir extraordinaire, renonça à ses fantasmes lunaires, constata avec le temps qu’il ne s’en portait pas plus mal, se contentant tout au plus, et cela sans la moindre amertume, de penser que depuis toujours, la lune se moquait de lui…

Et donc... 

La morale de cette histoire, c’est qu’on ne récolte que ce qu’on l’on sème, et encore pas toujours. 
 

Voilà !!!

A moi maintenant, avec une fable dont le titre est « Le meunier découragé » et dont la morale est finalement assez proche de celle de Serge: Autant en emporte le vent, en priant pour que ce soit du bon côté.

Autant en emporte le vent
Peut s’entendre différemment.
Le Sage de se dire :
Il faut se satisfaire de ce qui nous fait tort
Quand l’adepte du pire
Exprime sa colère contre le mauvais sort !
Pour illustrer cela, une histoire me vient.
Un meunier, d’entreprise, avait accumulé.
A plus de mille louis il estimait son bien,
Ne se souciant plus guère de compter en deniers.
Mais Femme lui manquait pour faire son bonheur.
J’irai donc à la ville pour trouver âme sœur,
Si chance me sourit, se dit notre meunier.
Il croise une donzelle, lui fait un brin de cour,
Lui propose épousailles avant la fin du jour.
Trois mois après promesse, le voilà marié.
Les mois heureux s’écoulent, il en remercie Dieu :
Mon bonheur est immense et je vous en sait gré.
Avoir femme et fortune avant que d’être vieux
N’est pas chose courante. Soyez cent fois loué !
L’année suivante hélas, aux moissons, fut muette.
Le meunier se désole, qui n’a plus grain à moudre.
Pour sauver son ménage, il contracte des dettes.
Les créanciers sur lui tombent comme la foudre.
Abattu, le pauvre homme fait venir son aimée :
Ma fortune n’est plus, je suis las, fatigué
Je n’ai plus à t’offrir qu’une vie misérable.
Laisse moi, je t’en prie, face à ce sort funeste.
Comment ? dit la meunière, quelle est donc cette fable ?
Tous tes écus partis, tu veux que rien ne reste ?
Tu voudrais que ta femme, à son tour, s’envole ?
J’ai choisi mon époux, je n’ai qu’une parole ;
Nous ne perdrons pas tout puisque l’amour est là.
Ton esprit assombri faisait le mauvais choix.
Le sort nous est contraire ? Montrons lui notre foi
En un bel avenir et prions pour cela.
Dans cette adversité, prions, mon cher amant
En acceptant qu’autant en emporte le vent.
En choisissant sciemment la plus gaie des deux faces
Cette femme était sage.
Ecartez les rancœurs, vous aussi faites place
Au meilleur de l’adage.

La vie est (parfois) comme un long fleuve tranquille

Deuxième nouvelle (pour le 12 juillet, je n'oublie pas le retard sur Serge que j'ai à combler).
Son titre: La vie est (parfois) comme un long fleuve tranquille
C'est ma deuxième "bille" rédigée l'année dernière.
Bonne lecture, j'espère...

Dans sa poche droite, le jeune Max sent le poids de la petite boîte.

A l’intérieur, toutes ses économies, les petits billets et les pièces qu’il a vaillamment gagnés, surtout en aidant Madame Lubinet à traverser (il la guette de sa chambre, qui donne sur la rue, pour ne pas la manquer à son approche du passage piéton) et aussi en montant les courses de Monsieur Baumert sur les trois étages qui mènent à son appartement.

Comme il approche de sa destination, sa main serre la boîte un peu plus fort.

Etablissement Vauquier est là. Il a certainement un vrai prénom, cet homme au visage sévère et à la forte carrure, mais personne ne l’a jamais appelé autrement que comme c’est écrit, en grosses lettres orange, au-dessus de la vitrine de sa boutique.

Il en impose, Etablissement Vauquier, avec sa longue blouse grise, bien campé en haut de la rampe qui permet d’accéder à son monde, le monde magique des… bicyclettes.

« Bonjour, M’sieur ! »

« J’en étais sûr ! » tonne Vauquier sans même retourner le bonjour de Max.

« Je vous attendais depuis un bon moment, vous savez, jeune homme ! L’Eclair D150, type Argent, c’est ça ? Hein ? Ha, ha, c’est que je vous observe depuis longtemps, moi, sans que vous vous en rendiez compte, à lorgner tous les soirs sur le D150 en vitrine, en n’osant pas rentrer dans mon magasin pour l’admirer de plus près. Je me trompe, ou pas ? »

Le gamin hoche la tête, un peu, comme pris en flagrant délit, comme s’il était coupable (mais coupable de quoi, bon sang ?)!

« Et je subodore (il aime à utiliser des mots compliqués, pour impressionner son monde, le père Vauquier) et je subodore aussi que vous n’avez pas assez d’argent pour l’acheter » ajoute-t-il.

« Je me trompe, ou pas ? »

Hochements.

« Alors, on fait quoi ? Les établissements Vauquier ne font pas crédit, jeune homme ! Vous le savez, ça, je me trompe, ou pas ?» dit-il d’un ton solennel, croyant même pour la circonstance devoir doter l’établissement Vauquier d’un pluriel que démentent les grosses lettres orange.

Saisissant son courage à une main, l’autre étant toujours indisponible car serrant plus fort encore la petite boîte, dans sa poche droite, le garçon se lance et dit :

« M’sieur, je vais pas vous demander un crédit, je vais vous vendre quelque chose »

Bouche ouverte et yeux ronds de Vauquier !

« Vous vendez des vélos, M’sieur, vous les connaissez tous, vous les réglez et même les réparez, pas vrai ? » (Max avait failli employer le tic verbal d’établissement Vauquier et finir sa phrase par « je me trompe, ou pas ? », mais il s’était retenu.)

Les deux yeux, de ronds, deviennent plissés, signe manifeste d’une curiosité interrogative.

« Mais l’Eclair, M’sieur, le D150 Argent, est-ce que vous l’avez déjà essayé ? »

Bouche ouverte, yeux ronds, à nouveau ! Scotché, le père Vauquier !

« Eh bien moi, M’sieur, je vais vous le faire essayer ! Et quand ce sera fait, grâce à moi, vous comprendrez que y’a pas mieux, pas plus léger, pas plus rapide, pas plus confortable que l’Eclair Argent D150, vous allez voir ! »

Joignant le geste à la parole, Max rentre en courant dans la boutique, et, dans la vitrine, sort la roue avant de l’Eclair du support qui le fait tenir bien droit, descend la petite rampe du magasin avec le vélo et met son guidon entre les mains de Vauquier, médusé.

« Et avec lui, pensez-y, je pourrai faire des courses pour vous, aller chercher vos colis à la poste, porter vos commandes chez Mallard, l’épicier » assène le gamin que son culot rend soudain tout puissant, portant ainsi à l’établissement Vauquier ce qu’il compte bien être le coup de grâce.

La selle est un peu basse pour Vauquier, mais qu’importe !

Il enfourche l’Eclair, met son pied gauche sur la pédale et… pousse.

L’air qui tout à coup prend consistance sur ses joues, les regards attendris de son père et sa mère qu’il sent dans son dos, le guidon qui oscille d’abord puis devient plus stable avec la confiance qui nait de la vitesse, la liberté d’aller…

Vauquier réalise tout à coup que ce chenapan vient de lui vendre ses propres souvenirs ! Satané petit escroc !!!

« Alors, M’sieur, ça vaut bien la différence, je me trompe ou pas ? »

Max a osé ce coup-ci la formule finale et en vainqueur, il lui tend sa petite boîte.

Un sourire rayonnant, face à deux yeux écarquillés parce que remplis d’un bonheur soudainement ressurgi.

« Jeune Homme, voici la liste des médicaments à me rapporter illico presto de chez la pharmacienne. Ne tardez pas et soyez prudent, je n’ai pas vérifié le réglage des freins. 

Allez oust ! Filez !!! »

Le nouveau propriétaire de l’Eclair D150 Argent ne se le fait pas dire deux fois.

En tournant le coin de la rue qui mène à la pharmacie, il se dit, comme Etablissement Vauquier au même moment en le voyant disparaître au coin de cette même rue, qu’il y a des jours comme ça où la vie peut paraitre couler comme un long fleuve tranquille.

 

 

 

Demande à la lune

Première nouvelle (pour le 05 juillet):
Elle a pour titre "Demande à la lune" et elle fut écrite en 2014. Il fallait bien que je tape dans mes archives (mes billes d'avance comme dit Serge) pour avoir une petite chance de tenir la distance...

Tout avait commencé à l’âge de 5 ou 6 ans, c’est du moins le souvenir qu’en avait Joseph. Mais sans doute la formule, la réplique plutôt, qui scanda une partie de son existence était-elle antérieure. Simplement, Joseph ne parvenait pas à accéder àdes évènements plus anciens.
C’est, paraît-il, assez naturel, du moins c’est ce que nous affirme la plupart des pédiatres. Joseph ne se remémorait pas non plus ce que fut sa demande, celle qui déclencha tout : une envie de quelque chose d’un peu particulier, d’exceptionnel peut-être, un jouet sans doute, un tantinet trop cher pour ses parents.   
Probablement…
En tout cas la réponse fut marquante, cinglante même!
« Rêve !!! »
« Ou alors », ajouta sa mère, « t’as qu’à demander à la lune ».
Bref, le jouet attendrait. Depuis cette date, il entendit cent fois sa mère lui opposer la lune, chaque fois que les désirs de son fils lui semblaient excessifs.
Cela ne le découragea pas pour autant. Dans son âme d’enfant, il s’était fait à l’idée qu’il y avait là comme de la « normalité ». C’était juste !!! Si l’exigence était forte, il fallait bien une réponse qui soit extraordinaire. Et la lune, comme juge, avait bien toute la respectabilité que l’on peut accorder d’emblée à l’astre de nos nuits.
Pourquoi donc la lune n’aurait-­elle pas eu ce droit à sanction, à décision suprême ? Obtenir d’elle, et d’elle seule, gain de cause, c’était acceptable, voire valorisant, à la hauteur de l’attente et du besoin. Joseph respecta donc la lune. 
Il chercha dès lors à trouver le bon moyen de lui adresser ses suppliques directement et seulement lorsque le jeu en vaudrait la chandelle, évidemment. 
Personne ne sera surpris d’apprendre que ses tentatives restèrent vaines.
Bien sûr, il lui arrivait d’obtenir satisfaction ; le cadeau souhaité, le privilège convoité, le service requis, Joseph le recevait parfois. Mais il sentait bien au fond de lui qu’il s’était agi là d’un concours de circonstances favorables dans lequel la lune n’avait joué aucun rôle ; un coup de pot, en somme !
Et du coup, le résultat en devenait presque décevant aux yeux du jeune homme.
Nous parlons d’un jeune homme car le temps n’avait rien changé à l’affaire et sa conviction d’une toute puissance de la lune était demeurée inébranlable.
La rébellion adolescente de Joseph s’était déportée sur d’autres thématiques, lui évitant ainsi de douter d’une lune confidente, à l’écoute. Il continuait d’y croire. Pour peu qu’on sache comment s’y prendre, on pouvait réussir...
C’était d’ailleurs le seul problème : comment s’y prendre ?
Les échecs successifs du garçon n’avaient en rien découragé son ardeur, son obstination devrait-on dire ; il persistait.
Tout au plus avait-il choisi de mieux « équilibrer » ses revendications. 
Constatant la répétition des refus de Séléné, il n’en avait conçu nul ressentiment mais plutôt la conviction que l’astre requérait le respect : il ne fallait pas, pour avoir une chance d’être entendu, l’interpeller pour un oui ou pour un non. Il s’agissait de cibler ses demandes avec plus de circonspection, et aussi de découvrir la meilleure méthode pour s’adresser à notre si merveilleux satellite.
Il fit donc des recherches, écumant les bibliothèques, consultant des ouvrages scientifiques ou mystiques, balayant même Google en tous sens, en quête du plus petit indice comme des plus improbables contacts qui l’auraient mis sur la bonne voie.
Rien n’y fit. 
Il restait bredouille et craignait de plus en plus de le demeurer jusqu’à la fin des temps.
Jusqu’au jour où...
La jeune femme ne payait pas de mine, ce qui ne veut pas dire qu’elle était quelconque.
Elle était même assez jolie, avec sa peau au teint très clair, presque diaphane. Mais elle n’en faisait pas des tonnes ; pas de maquillage, une robe simple, sans « chichi ».
Joseph l’avait immédiatement remarquée, dans ce train de banlieue qu’il avait pris par erreur, souhaitant un direct pour Versailles-Chantiers et non pas cet omnibus qui semblait inventer des gares tant il se trainait.
Il s’assit en face d’elle (une chance cette place libre ; un signe ?).
Elle lisait un livre, ouvert en grand sur ses genoux nus (sa robe d’été était agréablement courte). C’était un catalogue d’exposition, celle des œuvres du peintre Turner, regroupées au Grand Palais. Joseph fut stupéfait : le livre était ouvert sur une reproduction en double page, le « clair de lune » !!!
Il ne lui en fallut pas plus à Joseph pour comprendre, pour SAVOIR.          
C’était elle, c’était l’incarnation de la lune. La lune était enfin face à lui, ici, à cet instant, dans ce train ! Lui parler, vite, trouver quelque chose à lui dire, à lui demander plutôt !
Il devait saisir sa chance, maintenant, dans ce wagon ! Il se leva, ce qui incita la jeune femme à lever les yeux et à le regarder, bien en face.
« Voulez-vous m’épouser, Mademoiselle ? » C’est tout ce qui lui était venu à l’esprit, et après tout, quelque autre demande que celle-là pouvait être à la hauteur, se dit Joseph.
A cet instant, le bruit d’un Klaxon signalant l’ouverture des portes automatiques du compartiment se fit entendre. La jeune fille pâle referma doucement son livre, se leva, lui sourit, glissa son bouquin dans son sac, et d’une démarche qui parut dans l’instant aérienne à Joseph, elle se dirigea vers la sortie, pour descendre sur le quai, le train s’étant arrêté pour la nième fois (à Meudon-Bellevue, nota Joseph), et puis... 
elle s’éclipsa.
Joseph sut, au plus profond de son être, que l’opportunité de demander quoique ce soit à la lune ne se représenterait plus jamais à lui. 
Il décida donc à compter de ce jour de ne plus avoir aucun désir extraordinaire, renonça à ses fantasmes lunaires, constata avec le temps qu’il ne s’en portait pas plus mal, se contentant tout au plus, et cela sans la moindre amertume, de penser que pendant toutes ces années, la lune s’était bien moquée de lui... 

Un challenge, pourquoi pas?

Mon ami Serge, écrivain à ses heures, m'a lancé comme un défi: Il présente chaque semaine sur son blog ( https://abiteboul.blogspot.com/p/blog-page_11.html) une nouvelle (pour la saison2 de "Bêtises à bloguer", la saison 1 étant parue sous le titre "Le bot qui murmurait à l'oreille de la vieille dame".

"Pourquoi ne tenterais-tu pas d'en faire autant?" me dit-il!

Damned (comme dit Joe Dalton)!!!
Serge me connait trop bien; il titille mon ego et me voici donc devant un énorme point d'interrogation:
En serais-je capable?
Et en plus il faut que je crée un blog pour ça!!! C'est trop dur...
Donc, j'y vais.

On dira que ma première nouvelle vaut pour le 05 juillet (date de départ du défi lancé par Serge et tenu de son côté, du moins à ce jour)
Il m'en faudra 4 d'ici à vendredi prochain (demain) pour revenir à sa hauteur, quantitativement j'entends...

Bonne lecture, qui sait?...