Le goéland mélancolique

Le goéland mélancolique

samedi 18 octobre 2025

Un secret entre amis

Un atelier d'écriture et une contrainte thématique ("Un secret", en l'occurence), il n'en fallait pas plus pour aboutir à cette courte nouvelle... 

 

Alain ouvre les yeux, réveillé par une p. de sonnerie !... Son regard embrumé se tourne vers les chiffres en rouge projetés au plafond : 05:24. Une autre lumière, plus désagréable, crue, émane de l’écran de son portable posé sur la table de nuit. Un appel, en pleine nuit ! Nom d’un chien ! C’est qui ? 

En lettres majuscule, la réponse à sa question : ALAIN s’affiche sur l’écran. 

- Qu’est-ce qui lui arrive, bordel ? Alain fait glisser du doigt la flèche sous le nom de « l’entrant » : - Qu’est-ce qui se passe ? T’as vu l’heure ? maugrée-t-il, plus inquiet que furieux, parce que ce n’est pas dans le genre d’Alain, ça ; faut que ce soit sérieux... Son meilleur ami répond, d’une voix qu’Alain trouve « bizarre », comme qui dirait... speedée :

- Salut Vieux frère ! (Ils s’interpellent tous les deux ainsi depuis au moins 50 ans) Désolé pour l’heure, j’ai quelque chose à t’dire. Un truc grave, en moi depuis trop longtemps ; suis mal, tu sais ? Faut que je te... Ouai, du genre hyper grave...

- Ok, calme-toi, vieux, tranquille ! Je t’écoute !

- Non, pas là ; pas au téléphone ; j’te dirai tout ; on s’voit dimanche, d’acc ? Bise ! (Les deux amis ont un rituel qui a traversé leurs décennies partagées : ils déjeunent ensemble une fois par mois, un coup chez Alain et un coup chez ... Alain.) 

Après avoir claqué sa bise, Alain raccroche. Un coup d’œil au plafond : 05:28 Alain sent qu’il va avoir du mal à se rendormir. 

 

Ils se sont rencontrés pour la première fois sur les bancs de l’école et depuis très rarement quittés. Que des points communs : même prénom bien sûr, mais aussi même âge, mêmes études, mêmes goûts, mêmes passions. Pas les mêmes femmes ! Faut pas pousser... quand même ! Mais jamais la moindre bricole, la plus petite contrariété qu’ils aient eu envie de cacher à l’autre. 

« Un ami, c’est quelqu’un qui au moins une fois vous a déçu ». Les deux Alain aiment cette citation. Ils sont aussi passés par là, mais ont su chaque fois s’ouvrir à l’autre, rendant leurs déceptions vénielles. C’est pour ça que ce coup de fil tracasse Alain. Avril ? Le déjeuner, c’est chez lui, ce coup-ci. Tant mieux !

Le dimanche midi, Alain arrive en brandissant fièrement une bouteille de Chablis. 

- Attention ! dit-il, le sourire aux lèvres. Une boutanche de précision ! 

- On l’ouvre tout de suite, mon frère ! 

Alain semble ne pas vouloir aborder tout de suite LE sujet. L’autre Alain ronge son frein. Apéro, déjeuner, rhum arrangé avec le café pour conclure, rigolades d’usage... et toujours pas de déballage. Fait chier, l’Alain...

- Alors ?! fait Alain qui n’y tient plus, en tapant fort dans ses mains. Alors ? Tu vas finir par le balancer, ton scoop, Mec ?

- Quel scoop ?

- Et en plus tu te fous de ma gueule ? Ton aveu à me faire, ton « truc hyper grave » de cinq heures du mat’. Vas-y, accouche !!!

- Ah ! L’autre soir ? Après la soirée chez Joseph ? C’est ça ? La vache, on avait éclusé quelques verres de trop, et quand je dis de trop... je m’comprends ! Bon sang ! ajoute Alain, d’un air vaguement rêveur.

- Mouais... Et donc ?...

- Ben rien. J’étais bourré, point barre. Je sais même plus pourquoi je t’ai appelé. 

Alain comprend qu’il n’en saura pas plus et, grand seigneur, décide de ranger le « secret qui fait pschitt » aux oubliettes de l’histoire de leur amitié. Sauf qu’il se dit que son ami a eu une sorte de remord et qu’il lui tait ce qu’il aurait dû lui avouer. Même bourré, l’aveu d’un « truc hyper grave » qu’on dévoile à moitié, ça ne s’oublie pas comme ça, m. ! Bref, ça mine Alain, dès le dimanche soir, et ça ne se calme pas les jours suivants. Aux oubliettes de l’histoire ? Tu parles ! Trop bon, trop con... Pas cool, le vieux pote qui cache une vérité à son vieux pote !

Ça rend Alain bougon, au point qu’il rappelle Alain pour annuler leur déjeuner de Mai, prétextant une allergie au pollen. Il lui semble d’ailleurs que son « vieux frère » n’est pas chagriné tant que ça par ce contretemps. Peut-être bien le soulagement de ne pas devoir évoquer à nouveau le sujet ? Décevant...

C’est à compter de cette date que les deux Alain se virent moins. 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire