Le goéland mélancolique

Le goéland mélancolique

samedi 23 novembre 2024

Le code ou la clochette

Parfois, un ami vous invite en vous donnant un code qui permet d'accéder à un interphone qui autorisera à demander d'entrer et qui enclenchera l'ouverture de la porte, etc. etc. C'est alors que l'idée d'une histoire vous vient... 

Les élèves

 

Abel et Mélodie se sont rencontrés il y a quatre ans déjà, au début du premier semestre de leur scolarité à l’École nationale des chartes et ils se sont « rapprochés » dès le milieu du second semestre, comme dit Abel qui prétend s’en souvenir plus précisément que Mélodie. Mélodie a laissé dire, sachant parfaitement que leur attirance mutuelle datait en fait du premier cours de philologie computationnelle.

Mélodie est une belle femme, rousse, grande, plus grande qu’Abel. Plus vive aussi, plus débrouillarde, plus extravertie dit souvent Abel avec un soupçon de reproche pour lui-même. Toutes ces qualités avaient intimidé le craintif Abel, volontiers rougissant rien qu’à l’idée d’offrir un café à une femme. Elle s’en était rendue compte et avait choisi de ne pas faire le premier pas. Il devrait la mériter et ne saurait jamais, au grand jamais qu’elle avait prié pendant presqu’un semestre pour qu’il se décide enfin à l’inviter. Ce fut à la cafétéria, en sortant d’un partiel de latin médiéval.

Abel est intellectuellement brillant. Peut-être même plus que brillant ; topissime, se plait à dire Mélodie. Il maitrise aisément tout ce que d’autres acquièrent avec beaucoup d’efforts et les études n’ont été pour lui qu’une série ininterrompue de succès faciles et de réussites admirables ; admirables pour tous les autres quand elles n’étaient que banales pour lui. 

Rien de tout cela ne l’a rendu sûr de lui, pas auprès des femmes en tout cas. Petit selon lui, costaud certes, comme ses épaules et avant-bras le laissent deviner, mais complexé, Abel a toujours préféré mettre de la distance entre lui et ses congénères. Chaque fois ou presque, lorsque Mélodie observe en douce son homme, avec un peu de recul donc, l’image qui s’impose à elle est celle d’un rugbyman timide. Est-ce que ça existe, un rugbyman timide ? Mélodie se convainc qu’elle est la seule au monde à en avoir rencontré un. Abel, son demi de mêlée paléographe. 

L’attitude introvertie d’Abel n’a fait que renforcer sa relative solitude ; il ne s’est donc jamais entrainé à la socialisation. Aussi, ce rendez-vous à la cafète, cette invitation bégayée dont Abel se demande encore comment il a pu l’oser et comment Mélodie a pu la déchiffrer, fut pour lui la plus magnifique des victoires. Essai !!! Mais c’est bien sûr Mélodie qui prit le relai pour la transformation...

Mélodie admire Abel, ce qu’elle ne lui avouera pas, certaine que dans le cas contraire il pourrait devenir imbuvable. Son bien-aimé, elle le sait, développe une certaine propension à la vanité dès lors qu’il se sent flatté et elle le préfère modeste. Modeste, il est vraiment craquant !

Abel admire Mélodie et ne cesse de lui en faire l’aveu, tant elle parait peu convaincue par ses déclarations aussi fréquentes qu’enflammées. Pour une fois qu’il ouvre son cœur à quelqu’un d’autre et exprime à voix haute ses sentiments, cela l’agace qu’elle puisse douter de ce qu’il dit…

Tous deux adorent percevoir chez l’autre les qualités et les défauts qui séparent leurs tempéraments et relient leurs sentiments. Ils sont, bel et bien, amoureux.

Ce qui les a rapprochés ? Leurs études, l’intelligence hors du commun qui est la leur et qui transpire de leur personnalité, certes. Mais ce qui les a indéfectiblement liés, c’est leur histoire familiale. Mélodie et Abel sont des enfants de la DASS ; pas de mère ni de père qui les auraient accompagnés pour qu’ils deviennent ce qu’ils sont devenus ; et aucune volonté chez eux de chercher à savoir d’où ils pouvaient bien venir. Ils avaient l’un comme l’autre choisi d’être résolument tournés vers l’avenir, sauf en ce qui concerne leur profession, ce que d’aucun pourrait analyser comme un « mécanisme compensatoire ». Bref, Abel et Mélodie étaient raccord, ça se voyait et leurs proches amis ressentaient, face à ce constat, comme une sorte de petit bonheur communicatif ; contagieux, disaient même les plus enthousiastes.

 

 

Rêverie ferroviaire

 

Deux bonnes heures pour rejoindre Châteauroux depuis Paris ; la SNCF n’a pas encore cru bon d’ouvrir une ligne TGV vers le centre de la France. Abel s’est assis en face de Mélodie, dans le sens de la marche. Abel préfère et Mélodie, elle, dit qu’elle s’en fiche. Par la fenêtre, ils peuvent distinguer tous deux les prairies et les villages, lui avec un peu d’avance et elle avec le complément d’attention que permet une vue qui s’éloigne de soi. Mais pour le moment, Mélodie a les paupières fermées. Abel la regarde, se demandant si elle dort ou pas, mais ne l’interpelle pas pour le savoir. Jamais il ne se lasse de la contempler. Il l’aime. Il voudrait que plus souvent elle-aussi plonge ses yeux dans les siens, mais il sait que ce n’est pas vraiment son truc. Juste après leur première vraie rencontre, à la cafète, sa timidité lui interdisait encore de porter sur elle un regard soutenu. Il prit ensuite de l’assurance et chercha à ce qu’elle sache ce que ses yeux disaient de sa passion, de son désir pour elle. « Arrête ! » lui dit-elle parfois en souriant, quand elle se rend compte de son insistance. Lui voudrait rétorquer « je ne peux pas ! », histoire de lui faire ainsi une nième déclaration d’amour, mais son sourire le désarme et il reste coi, sans cesser pour autant de la dévisager. Dévisager… Quel méchant mot, pense Abel. Rien du visage de Mélodie ne mérite ce préfixe « dé » ; Abel le lettré en connait le sens premier, celui « d’altération ». Alors que visage... 

Abel ouvre grand ses yeux vers le plafond vaguement beige clair du compartiment pour aider sa mémoire d’érudit à s’ouvrir à son tour ; clic – clac, et c’est parti : 

Ce qu'on remarque peut-être d'abord, chez une personne, c'est le regard ; voilà pourquoi le mot «visage», dérivé de l'ancien français «vis», a pour origine non pas les termes qui désignaient en latin la face («vultus», «facies») mais le verbe «videre» : «vis» est issu du nom latin «visus» (le fait de voir, le sens de la vue), lui-même formé sur «visum », supin du verbe «videre», lequel a donné, après une assez longue évolution phonétique (veder/vedeir/veeir/veoir) notre verbe «voir»

Fin de citation. Neurones opérationnels, se satisfait Abel, un brin prétentieux, si content de lui et de sa « machine cérébrale » !

Abel sourit. Il « voit » le visage de Mélodie en tournant vers elle son regard puis ferme à nouveau les yeux, pour mieux visualiser son aimée telle qu’il la découvrit lors de leur première soirée chez lui, celle qui se prolongea par leur première nuit. La petite clochette avait tinté. N’ayant pas de sonnette à la porte de son petit F2, il avait vissé dans le chambranle de la porte d’entrée un cordon au bout duquel il avait noué un grelot en laiton nickelé acheté au rayon bricolage du sous-sol du BHV.

Il avait ouvert très vite, trop vite ? Sachant qu’elle venait, il était resté à l’attendre juste de l’autre côté de la porte. Il projetait ce moment dans son esprit, en boucle, depuis la veille au soir, à l’issu d’un dîner qui l’avait laissé dans un état de confusion mentale à ne pas croire. 

Ding, ding !!! Le grelot ! Ouvrir ! Mon Dieu !...

Belle ! C’est le seul mot qui lui venait, chaque fois qu’il la voyait et c’est donc le seul mot qui lui vint, une fois encore. Son accoutrement du jour n’y changeait rien. Qui pourrait s’arrêter à cet imperméable improbable en plastique, à la couleur quasi indéfinissable (mauve-rosé ?), genre poncho à capuche translucide ? 

Elle entra, sa « cape de pluie » (c’est ainsi qu’elle dénomma le truc qu’elle avait sur le dos) dégoulinant sur le parquet.

-  Ah ! Il pleut ? questionna bêtement Abel (il pleut ?... Bravo Mec pour ta question à la con !)

-  Non, pas vraiment, répondit Mélodie avec un humour qu’Abel ne perçut pas, tout occupé à limiter les déplacements de Mélodie, essayant de contrôler la zone humide qu’elle était en train d’établir sur son parquet en secouant son pardessus.

Belle ! Le machin mauve-rosé enfin au porte manteau, elle éclaira la pièce, dans sa robe bleu pâle, et Abel, médusé et incapable de lui dire « Entre ! » ne put que lancer :

-  Tu es belle !

Un bruit de rails fit rouvrir les yeux à Abel. À Mélodie également, si bien qu’ils croisèrent leurs regards. Elle lui sourit, en passant dans le même temps sa main dans ses longs cheveux ondés.

Belle ! pensa Abel, et il tourna les yeux vers l’extérieur, une forêt de chênes allant bientôt les rejoindre et se perdre ensuite sauf pour Mélodie, pendant quelques secondes supplémentaires. Avec l’étrange capacité qui était la leur d’être en communication même sans se parler, Mélodie referma les yeux un court instant pour revoir l’image de fin de son rêve interrompu. Un grelot en laiton nickelé... 

Allez savoir pourquoi, ce grelot rappela à Mélodie une aventure ancienne. C’était avant d’intégrer l’école des Chartes, en Khâgne à Henry IV. Le jeune homme se prénommait Marc. Séduisant, peut-être parce qu’entreprenant, qui sait ?... Mélodie ne se souvient pas très bien de ce qui l’avait amenée à accepter une invitation vespérale chez ce garçon. Marc lui avait dit : « Arrivée devant chez moi, facile, tu feras le code 030814, et puis tu sonneras à l’interphone, je t’ouvrirai ». 

Pourquoi cela suffit à convaincre Mélodie de renoncer, elle ne saurait le dire encore aujourd’hui. Sans doute lui sembla-t-il inenvisageable d’aimer un garçon si claquemuré, déjà. Et de s’imaginer enfermée à son tour au verso d’un interphone. Et puis, ce code, qui sonnait comme la déclaration de guerre de 14/18... Elle ne revît pas Marc...

 

 

Alchimie pour archivistes

 

Mélodie aime bien le train, surtout quand il est lent comme c’est le cas de celui qui les conduit vers Châteauroux. Elle préfère de loin les « Inter cités », comme la SNCF les dénomme, aux TGV. Ils donnent aux passagers la possibilité de percevoir ce qui passe au dehors, à défaut de pouvoir découvrir ce qui s’y passe... véritablement. Des villes, des banlieues, des jardins qui deviennent des campagnes puis des champs puis des forêts et des maisons à nouveau, organisées en villages ou disséminées pour on ne sait quelle raison. Rarement des gens… Le train joue le rôle d’effaceur d’humanité, n’autorisant à voir que le décor qui environne ces hommes et ces femmes, sa vitesse de défilement faisant disparaître les vivants telle une grosse gomme blanche. Mélodie préfère s’assoir quand elle le peut dans le sens de la marche, mais quand elle voyage avec Abel, elle lui laisse systématiquement ce plaisir. Elle sait qu’il y tient, même si ça lui coûte un peu. Entre deux maux… Abel ronchon à l’arrivée, non merci ! 

Abel… Il la regarde, elle en est sûre, et c’est pour cela qu’elle a les yeux clos, qu’elle fait un peu semblant de somnoler. Elle ne veut surtout pas qu’il arrête, elle aime trop ça, quand il l’enveloppe de son regard attendrissant. Mélodie n’a nul besoin de le voir faire, elle le connait tellement, et sa contemplation (car c’en est une, assurément, au sens littéral du terme, songe Mélodie en experte des étymologies latines – grecques aussi, mais pas là !), elle en est chaque fois bouleversée. Elle aussi, par les yeux comme par la pensée, elle aime Abel. C’est pour cette raison qu’elle s’interdit le plus souvent de soutenir son regard. Elle a depuis leur premier baiser choisi de ne l’observer qu’à la dérobée, consciente que si elle répondait un peu plus à ses désirs, il pourrait se lasser. Et elle ne veut surtout pas qu’il se lasse.

Le rythme régulier des roues passant les traverses la berce un peu. Mélodie part lentement dans une rêverie et se remémore leur première soirée, lorsqu’Abel l’a enfin invitée à dîner. Ce gros bêta n’en finissait pas de se déclarer, l’invitation à la cafétéria ne semblant pas un élément déclencheur suffisant pour qu’Abel se sente pousser des ailes. Mélodie décida donc de prendre les choses en main et fit savoir à Abel, par le truchement d’une bonne copine à qui elle s’était confiée, qu’elle adorait la gastronomie et qu’il y avait plein de bons restos dans les parages. Abel sut réagir avec justesse et invita Mélodie au restaurant Nicolas Flamel, la plus vieille auberge de Paris. Classe ! Et pertinent, quand on cherche à séduire une des plus brillantes élèves de l’école nationale des Chartes et qu’on est soi-même grand spécialiste du XIVème siècle et admirateur de son plus célèbre écrivain public, libraire... et alchimiste ! Mélodie avait accepté l’invitation en disant à Abel qu’elle le rejoindrait sur place à 20 heures 30 seulement, prétextant un partiel à rattraper pour le faire un peu « lanterner ». 

Bien évidemment, il n’en était rien et Mélodie campa dès 20 heures au coin de la rue de Montmorency. Elle le vit arriver, touchée qu’il se soit un peu endimanché, pour faire bonne figure. Elle le trouva beau, plus grand que l’image qu’elle avait conservée de lui à la cafète, où la timidité et les hésitations brouillonnes d’Abel auraient sans doute découragé une Mélodie moins persévérante et déterminée. Son nœud de cravate indiquait clairement qu’un copain à lui avait dû l’aider à le faire, et le petit bouquet qu’il dissimulait maladroitement et sans raison (elle n’était pas censée être déjà là) parlait pour lui ; il était raide dingue.

Mélodie attendit qu’Abel rentre dans l’auberge, s’enquière de la table réservée quinze jours plus tôt et s’installe. Puis elle entra. Elle se savait séduisante, belle à tomber dans sa robe noire sans manches (le printemps était cette année-là propice à la légèreté). Le petit bouquet posé sur l’assiette en face de celle d’Abel fut la première chose qu’elle vit ; elle ne leva les yeux vers celui qu’elle aimait déjà de toute son âme que dans un deuxième temps ; il se leva pour l’accueillir et là, sans hésiter une seule seconde, elle l’embrassa. Abel, conquis si tant est qu’il ait encore eu besoin de l’être, fit un pas en arrière et la regarda droit dans les yeux, pour lui signifier qu’il n’y aurait jamais qu’elle, qu’il l’adorait dé-fi-ni-ti-ve-ment. Alors, Mélodie pensa : « Mon coco, ce regard-là, compte sur moi pour ne plus te le rendre., Il est à moi, maintenant, rien qu’à moi ! »

Puis, à la fin de ce premier et mémorable dîner, un brin perverse, elle coupa court à toute velléité d’Abel d’aller plus loin ce soir-là, quoiqu’elle doutât fort qu’il ait cette intrépidité-là.

« On se revoit demain ? » Mélodie laissa passer une ou deux secondes et conclut : « Chez toi ! » 

Ce n’était pas une question et Mélodie ne fit pas mine d’attendre la moindre réponse. La partie était dite. Abel bredouilla une adresse (le 33 rue des Petits Champs, 4ième gauche) et Mélodie nota avec plaisir : « pas de code !!! »

Un bruit de rail lui fit ouvrir les yeux. À moins qu’il ne s’agisse du Ding d’un grelot de fin de rêve. Abel la regardait. Mélodie sourit. Avant de jeter de nouveau un œil au dehors, vers une forêt de chênes qui s’éloignait à grande vitesse, elle envoya une pensée à ce garçon assis en face d’elle et qui, comme d’habitude, ne se rendrait pas compte du message qu’elle lui adressait : 

« Abel, c’est avec ta clochette vissée à la porte que tu as gagné ; ça a suffi !».

 

 

 

 

mercredi 4 septembre 2024

L'aigle


 La fille et son père 

Un silence studieux règne dans le bureau de Juan. Son cabinet, son antre, sa caverne... Bon sang, qu’est-ce qu’il aime cet endroit, ce moment aussi, songe-t-il ! Pas seul au monde, non, pas du tout ! Isolé du monde, tout simplement. Et c’est bien. Mais, soudain...

- T’as vu ce truc, P’pa ? C’est dingue ! lance Nilsi à son père. Elle brandit le journal de la veille dans sa main droite, à la façon d’un crieur des rues, en le secouant frénétiquement. Son père, assis à sa table de travail, habitué qu’il est aux entrées tonitruantes de sa fille dans son bureau, ne se retourne pas. Le fait de tourner le dos à la porte plutôt que de lui faire face a toujours étonné ses proches, mais lui a choisi de donner la priorité visuelle à sa bibliothèque et ses chers bouquins de préférence aux visiteurs pénétrant dans la pièce. Rien ne l’horripile plus que les importuns venant perturber son travail ou ses méditations, comme sa fille à l’instant. 

- Nini... je t’ai déjà dit cent fois de frapper avant d’entrer et de ne pas hurler comme tu viens encore de le faire ! 

 

Juan Aulmesse est écrivain. Cette passion est née tardivement, ce qu’il considère à la réflexion comme un avantage. Toute la première partie de son existence (la plus longue, soupire Juan, lucide, accordant foi aux statistiques INSEE sur l’espérance de vie d’un homme en ce début de siècle), il l’a consacrée à un boulot très rémunérateur à défaut d’être enthousiasmant. C’est donc avec la garantie d’un confort matériel conséquent qu’il a pu réorienter sa vie vers l’écriture, avec les marges de manœuvre et la créativité qui s’y rattachent.

Enfin libre ! se dit-il chaque fois qu’il s’assied dans son fauteuil à roulettes, devant la grande planche sur tréteaux qui supporte son ordinateur et son imprimante. La surface restante est couverte des impressions papier des pages qu’il a besoin de relire, et des livres qui l’inspirent et qu’il souhaite avoir toujours à portée. Pour bien écrire, il faut lire ! affirme-t-il à qui veut l’entendre. Pas pour copier, hein ! Non, non... Mais pour s’évader, se ressourcer, se sentir aidé, accompagné par des génies auxquels il n’a pas l’immodestie de se comparer. Juan a la satisfaction de vivre de sa plume, modestement certes, mais orgueilleusement. Il est fier, en effet, que des maisons d’édition se soient intéressées à lui et que ses ouvrages, très principalement des contes pour enfants, aient séduit un large public. Petits et grands.... De plus, toute peine mérite salaire, a-t-il coutume de clamer haut et fort, bien que cette peine, doit-il bien avouer, soit en réalité pour lui un vrai bonheur. Célébration de l’effort ou gloriole un tantinet vaniteuse ? Allez savoir ! Juan est heureux mais pas dupe de lui-même ; il a décidé que ce dicton populaire était suffisant pour tout excuser, point barre !

- Bon ! Retournons-nous vers cette jeune fille, concède Juan, plus amusé que fâché par l’intruse. Qu’a-t-elle déniché dans la presse d’hier, cette petite curieuse de tout ? D’une torsion du buste sur sa gauche accompagnée d’une petite poussée sur le rebord de la table-bureau, Juan fait pivoter son fauteuil à roulettes et se retrouve face à ... une manifestante excitée agitant un écriteau.  Le père de Nilsi sourit de cette comparaison qui lui est venue à l’esprit en découvrant sa fille adoptive dressée devant lui avec des yeux qui brillent, secouant sa feuille de chou. Nilsi est une jolie petite blonde, d’un blond enfantin et nordique, au point que sa tignasse paraisse presque blanche. Et avec ses cheveux coupés court (une idée de sa femme, qui craignait de faire pleurer la petite en la peignant), ça lui donne une assez frappante ressemblance avec Jean Seberg dans À bout de souffle. Pour cela comme pour tout le reste, il adore sa Nini et même plus, il l’admire déjà. Nilsi est une gamine passionnée, vive, intelligente. Dès ses sept ans, soit un an seulement après que sa femme et lui l’ont accueillie à la demande de la DASS, l’exercice de la lecture lui était devenu familier. Elle a commencé à déchiffrer, puis à parcourir et enfin à dévorer de la première à la dernière ligne le journal auquel Juan s’était abonné et dont il regretta très vite de le lui avoir passé chaque soir après consultation : 

Dis, P’pa, ça veut dire quoi « conflit d’intérêt » ? 

- P’pa, pourquoi le ministre ne veut pas « s’exprimer sur ce sujet » ? 

- Tu ne trouves pas curieux que la police arrête ses investigations, hein, P’pa ? 

Etc., etc.

Juan n’a jamais réussi à obtenir de Nilsi qu’elle prononce P-A-P-A, mais dans le fond, quelle importance ? C’est déjà tellement touchant qu’elle l’appelle P’pa. Rien à revendiquer, tout à conquérir, une autre formule qu’il aime bien mais qu’il garde pour lui seul. Les questions à feu roulant de cette sacrée gamine plaisent à Juan. 

- Alors, c’est quoi, ce... truc dont il faut que tu m’informes sans plus attendre ? 

- L’histoire de l’aigle, P’pa ! Le journal rapporte qu’il a sauvé un enfant des flammes. Incroyable !!! 

Nilsi exhibe bien haut le Télégramme dans lequel elle a lu l’article en question. Quel tableau ! Jean Seberg, en plus jeune... songe Juan, admiratif et un peu ému. 

- Oui, en effet, incroyable... confirme Juan à sa fille.

- Ça ne peut être que vrai ; c’est là, en page 2 ! Le père était sur le balcon avec sa femme et leur fils ; leur maison était en feu ; ils se sont réfugiés là et l’aigle est venu, a saisi dans ses serres l’enfant que le père lui tendait et l’a déposé au sol, dans le jardin ! Sauvé !!! Nilsi accompagne son exclamation d’un claquement de doigts, pour bien montrer son admiration.

- Et il est arrivé comme ça, l’aigle ? Ça ne te paraît pas bizarre ? Juan s’est attaché à développer l’esprit critique de sa fille dès qu’il a vu qu’elle était capable de raisonnement, soit seulement après quelques jours mutiques ayant suivi son arrivée chez eux, et qu’elle a rompus par un Je suis bien votre fille, maintenant, sûr ?...

- Mais non ! C’est là que l’histoire est extraordinaire ; le papa est dresseur de rapaces, à Branféré, tu sais bien, le parc animalier. Cet aigle, c’est son favori ; et l’animal l’a vu faire des signes dans sa direction depuis le toit. Tu sais que les aigles peuvent voir à plus de deux kilomètres ? J’ai vérifié sur internet. 

- Oh, alors !!! Si c’est sur internet... 

- Y’a qu’un truc dans l’article qui m’a paru... disons bizarro-faiblard, c’est que le journaliste ne donne pas l’âge du petit... (Nilsi surprend parfois Juan par sa capacité à inventer des néologismes) 

- Allons donc, encore un... truc ! Pourquoi bizarro-faiblard ?

- Ben, c’est quand même important, non ?... 

Et sur ces mots, Nilsi, les sourcils froncés, comme agitée par un débat intérieur, tourne les talons et sort du bureau, laissant Juan troublé par l’étrange interrogation de sa Nini.

 

Le journaliste

 

Intrigué par la sortie de sa fille, au propre comme au figuré, Juan avise le journal que Nilsi a posé sur le bureau avant de s’éclipser et va chercher l’article en page 2. Elle en a fait un résumé très complet, constate avec satisfaction Juan, qui aime et a inculqué à sa fille la rigueur, la précision et l’esprit de synthèse. Pour en savoir plus, Juan décide de s’adresser aux bonnes sources. Au tout début de sa « carrière littéraire », il a publié de courtes nouvelles dans le Télégramme, grâce à un ami qui lui avait donné le tuyau et surtout un contact au sein de la rédaction :

- Appelle Yvan Plon de ma part. Il cherche toujours des histoires courtes à faire paraitre pendant les périodes de vacances. Ça soutient les ventes, parait-il.

Juan avait appelé Yvan, devenu rapidement un ami suite aux parutions du Dragon amoureux, des Souris malicieuses, du Merlin pas sorcier et autres contes pour sourire un peu qui avaient bien aidé au tirage du quotidien durant l’été 2004.  

- Salut Yvan ! Je ne te dérange pas ? 

- Bonjour ! À qui ai-je l’honneur ? 

Rires aux deux bouts du fil...

Yvan et Juan ont cultivé cette blague entre eux depuis deux décennies, avec la malice de ceux qui ont connu les téléphones sans écran, ceux qui n’affichaient pas l’identité du correspondant. 

- Que puis-je pour toi, mon Ami ? interroge Yvan.

Juan lui parle de l’article sur l’aigle sauveur, et lui explique pourquoi il voudrait connaitre plus de détails sur cette affaire : 

- Ma fille... une fouineuse tu connais... sa question bizarre, qui me laisse en plan devant un immense point d’interrogation... ça ressemble à un défi... ça m’agace, tu comprends ? ... Yvan comprend et lui passe les coordonnées du journaliste, en le prévenant que « son » Dupuy n’est pas le commissaire Bourrel (autre private-joke entre vieux de la vieille) et qu’il ne faut donc pas s’attendre à des révélations fracassantes. 

- Ah bon ? Pas de Bon Dieu mais c’est bien sûr, alors ? Dommage ! conclut Juan en remerciant son pote. Le commissaire Bourrel a donné rendez-vous à Aulmesse au café des sports. Juan le reconnait sans l’avoir jamais rencontré précédemment. Sacré Yvan, à l’humour toujours caustique ! Car son journaliste ressemble à Raymond Souplex (bien vu Yvan !), c’en est à peine croyable. Il commande un café et rejoint l’homme qui l’attend à la table la plus éloignée du bar. Il est tassé et même carrément avachi sur sa chaise, devant un verre de Ricard, dénoncé par une carafe en affichant le logo.

- Ah oui ! À 9 heures du mat’, quand même ! Tout de suite sur la brèche, le bonhomme ! Juan n’aime pas trop les alcooliques mais se dit qu’il n’est pas venu là pour faire de la morale, et encore moins à celui dont il veut tirer les vers du nez. Les verres du nez, sourit Juan pour lui-même, jamais avare d’un petit calembour perso.

- Monsieur Dupuy, j’ai lu votre enquête sur le sauvetage de ce garçon par un aigle, très intéressant, vraiment. J’aurais aimé en savoir un peu plus. Votre rédacteur en chef a dû vous dire ? Pour un roman, oui, c’est cela...

Juan a décidé de démarrer sur les chapeaux de roues ; votre enquête, tu parles ! Le journaliste, de suspicieux qu’il semblait être lorsqu’ils se sont serré la main, devient presque instantanément disert après avoir enregistré les compliments.

- Oh, oui ! Un p. de fait divers, M’sieur. Y’en a pas souvent des comme ça dans une carrière (Juan rigole intérieurement en imaginant la légendaire carrière de Bourrel, mais n’en laisse rien paraître). 

Le couple s’était réfugié au premier étage de leur pavillon puis à l’extérieur sur une sorte de petit balcon, le feu gagnant en intensité, avec leur petit dans les bras. 

Le gamin ? Quel âge ? Ma foi, je ne sais pas trop, 2 ans grand maximum en tout cas. Comment le feu a-t-il pris ? Les gendarmes ont dit que c’était à cause du gaz, enfin... d’une cartouche de petit réchaud de camping posée par erreur sur la plaque vitrocéramique de la cuisine qui était restée allumée. 

C’est ce que leur a affirmé le père quand ils ont pu l’interroger, à l’hôpital. Oui, c’est curieux ; c’est pour ça que les gendarmes ont au départ soupçonné l’acte intensionnel.

- Tu penses ! ricane Juan, ne pouvant pas se retenir. Craignant que Bourrel ne perçoive son ton moqueur, il enchaîne avec un :  

- Continuez, continuez, je vous en prie. 

Bourrel, qui ne s’est rendu compte de rien, poursuit : 

- L’homme et la femme sont tombés au milieu des décombres embrasés, enfin... la femme surtout, quand la charpente s’est effondrée (bravo Bourrel, pour cette retranscription des faits bien bâclée... se dit Aulmesse). Le gars a survécu par miracle mais la femme est morte ; une poutre qui lui est tombée dessus, je crois (il n’en est même pas sûr, le bougre, sanctionne Juan). Heureusement que le père avait eu le temps de donner son gamin à l’aigle. Autre miracle, vous ne trouvez pas ?

- Oui, ça, je trouve ! approuve Aulmesse, un brin narquois. Pour encourager le journaliste à continuer son récit, Juan fait signe au barman d’un mouvement circulaire de la main, l’index dirigé vers la table, pour lui indiquer qu’une seconde tournée de pastis est requise.

- On a retrouvé le môme dans le jardin, l’aigle l’avait lâché là. Il était un peu amoché, le gamin, des hématomes partout sur le corps.

Rapport aux serres du rapace sûrement, et aussi à cause de sa chute quand l’aigle l’a laissé tomber au sol.

Mais rien de bien grave finalement. Comme a dit le toubib qui l’a examiné :  Il va s’en remettre, le môme ! 

Un miracle, j’vous dis, M’sieur, un vrai miracle ! 

Le pigiste s’arrête pour prendre une bonne rasade de son jaune. Juan en profite pour mettre fin à leur conversation. Il n’en saura pas plus ; c’est du garanti sur facture, le journaleux est allé au bout de ses capacités. 

- Merci, Monsieur Bourr... Dupuy. Vos informations m’ont été précieuses, vraiment. Juan soupire intérieurement. Bon, il va plutôt falloir se rencarder du côté des enquêteurs, les vrais cette fois.

 

Le gendarme

 

Le jour même, il appelle la gendarmerie. Le Capitaine Renaudon décroche. Dans une petite ville, les effectifs sont maigres et les standardistes superfétatoires.  

- Bonjour ! Je me présente : Juan Aulmesse. On se connaît, je crois, Capitaine. 

Nous avions eu un échange fort intéressant sur les erreurs commises dans les romans et les séries télé au sujet des méthodes d’investigation... Oui, c’est cela ; lors du pot suite aux vœux du Maire. Je ne vous dérange pas ? Voilà ; je veux me lancer dans l’écriture d’un roman policier, vous vous souvenez peut-être, je suis écrivain à temps perdu... dans le Télégramme ? 

Oui, aussi... et je me suis dit que l’incroyable sauvetage d’un bébé serait une bonne trame pour l’intrigue. 

Et comme vous avez été aux charbons sur cette affaire... oui ? ah, oui, « aux charbons » ... c’était involontaire, pardon. Bravo pour l’avoir relevé, Capitaine. Bravo pour l’humour, je veux dire ! 

Me permettriez-vous de demander à l’enquêteur que vous êtes, sans trahir de secret bien sûr, quelques précisions sur toute l’histoire ? Ah, vraiment, c’est formidable. Merci ; merci beaucoup, Capitaine. Vendredi, à l’heure du déjeuner, ça vous irait ? Au Fil de l’air ? Bien, parfait ! Vous êtes mon invité, bien sûr...

Le lendemain, Aulmesse est installé à une des tables pour deux couverts du Fil de l’air, ouvert depuis quelques semaines seulement, mais déjà réputé pour son menu gastronomique. Juan veut soigner son pourvoyeur d’infos ; il est même arrivé un bon quart d’heure avant son rendez-vous avec le Capitaine. L’impatience du limier qui le taraude, sans doute... 

C’est qu’il a vraiment envie d’en savoir plus, Juan, sur cette histoire d’aigle abracadabrante. Le Capitaine arrive. Assez bel homme, mince, sportif à l’évidence, avec une juvénilité apparente que seule une barbe de trois jours, étrange coquetterie chez un militaire, gradé de surcroît, tend à démentir. Renaudon fait un geste de la main, montrant qu’il a reconnu son hôte et le rejoint d’un pas que Juan ne peut s’empêcher de qualifier de militaire. 

Quelques minutes et politesses plus tard, la commande est passée. Les deux hommes sont prêts à attaquer hardiment un Saint Pierre, sauce langoustine et légumes du moment, accompagné d’un Condrieu blanc, de quoi aider le Capitaine à aller chercher dans sa mémoire les détails du tragique évènement.

- Je ne sais pas si cette histoire mérite votre attention, Monsieur Aulmesse. De fait, elle s’est avérée, après examen, assez simple, hélas. Juan se dit que le gendarme semble presque regretter que le drame terrifiant promis se soit transformé en banal fait divers.

La gastronomie, on le sait, participe à détendre les atmosphères et délier les langues. Renaudon ne se fait donc pas prier pour retracer chaque étape de l’enquête de gendarmerie à son hôte.

- Des voisins nous ont appelés en même temps que les pompiers, suite à l’incendie d’un pavillon. Ils avaient aperçu les lueurs causées par les flammes. Un peu isolée, la bicoque, située tout près du parc animalier de Branféré, loin des autres maisons du patelin. C’est ce qui explique que l’alerte n’a pas été donnée tout de suite. Lorsque les pompiers sont arrivés sur les lieux, c’est toute la maison, rez-de-chaussée, premier étage et toiture, qui étaient en flammes. L’enfant enrobé dans un drap a été retrouvé, en pleurs, dans l’herbe, à vingt mètres environ du pavillon dont il ne restait déjà plus que des ruines, le toit s’étant effondré sur lui-même. 

Les pompiers ont découvert l’homme allongé sur le sol, juste en dessous du balcon dont il avait manifestement sauté pour éviter de brûler vif.  Non, non, pas dans les décombres, je viens de vous le dire ! Dans le jardin, comme le gosse. Vivant, même s’il a fallu lui donner de l’oxygène. Les fumées toxiques, vous comprenez ? La femme, elle, n’a pas eu cette chance. Après que les pompiers ont enfoncé la porte d’entrée, ils ont fait la macabre découverte de la mère, morte, au milieu des gravats. Son corps a été retrouvé presque entièrement calciné - oui, c’est horrible - elle avait été coincée par une lourde armoire qui s’était renversée, sûrement dans la chute de la charpente. Non, non, pas sous une poutre, pourquoi vous me demandez ça ? L’article du Télégramme ! Oh, vous savez, les journalistes...

J’ai moi-même interrogé le père à l’hôpital (le Capitaine a adopté le ton cérémonieux du chef-qui-a-pris-les-choses-en-main pour ce moi-même). 

Je voulais savoir comment le gamin s’en était sorti avec seulement quelques contusions, et comment le feu avait pris. C’est là que l’homme m’a parlé de l’aigle dressé - oui, c’est lui, selon ses dires, qui avait appelé l’animal à la rescousse - c’est le cas de le dire, n’est-ce pas ? 

Le Capitaine sourit, satisfait apparemment de son trait d’esprit. Ma faute, pense Juan qui se souvient l’avoir un peu plus tôt flatté pour son humour...

- L’oiseau aurait saisi dans ses serres l’enfant porté à bout de bras par son père et déposé son fardeau quelques mètres plus bas et plus loin. Comment ? Si c’est crédible ? Vous pensez bien qu’on a vérifié. 

Le surlendemain, sorti de l’hosto, notre dresseur de rapaces a participé avec son aigle à une reconstitution. 

On avait enveloppé un mannequin sensiblement de même volume que l’enfant dans un linge, et l’oiseau, sur un signe de son maître fauconnier, a fondu sur le paquet - pardon pour le terme, peu élégant je l’avoue – et l’a ensuite lâché sur commande. Comme vous dites, fascinant, bluffant, on est bien d’accord !!!

Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à des démonstrations de dressage avec un aigle... non ? 

Eh bien, c’est impressionnant. Le fauconnier fait un geste de la main, comme ça (Renaudon mime la commande du dresseur, voulant sans doute offrir à son interlocuteur une image en soutien à son propos). L’oiseau semble tout d’un coup surgir de nulle part ; pas de bruit, il plane et apparaît subitement.

Vous ne l’avez pas vu arriver, comme s’il avait piqué sur vous. D’ailleurs, il pique sur vous, confirme pour lui-même le gendarme, se remémorant sa frayeur du moment. Pas vu avant ! Et pourtant, son envergure, c’est énorme, au moins deux mètres, deux mètres cinquante, facile ! 

Le Capitaine laisse trainer un long silence après cette évocation, fermant les yeux pour revoir la scène, sans doute. Il faut que je le relance, se dit Juan.

- Et pour les causes de l’incendie ? 

- Pardon ? Ah oui, le feu ?... Comme je vous disais, je l’ai questionné sur ça aussi, et voilà comment ça s’est passé : ce soir-là, il y a eu une panne d’électricité. 

Si on a vérifié après côté EDF ? Bien sûr, Monsieur Aulmesse, le B-A-BA, vous pensez bien... 

Une panne d’électricité, disais-je, et sa femme qui avait commencé à cuisiner a oublié de remettre les plaques chauffantes à zéro. Lui a ramené un réchaud de camping à gaz pour donner quand même quelque chose de chaud au gosse. Il l’a posé sur la vitrocéramique. Éteinte, bien sûr ; vous me suivez ? Eh oui, la panne EDF. Seulement, quand le courant est revenu, ils étaient au premier en train de coucher l’enfant. Les plaques se sont rallumées toutes seules et ont enflammé la cartouche du réchaud qui a sauté, évidemment, et c’était parti ! Ça a pris en quelques secondes... Poufff ! C’est aussi bête que ça !!!

- Aussi bête que ça... répète Juan. Pas si sûr... rajoute-t-il pour lui-même, commençant à échafauder un tout autre scénario.

Le Capitaine, pas dupe de la mine songeuse de Juan, sent qu’il faut lui apporter quelques compléments. 

- Pourquoi la femme s’est-elle retrouvée piégée dans la maison ? L’homme n’a pas été capable de l’expliquer vraiment. Il a déclaré qu’ils étaient tous les trois sur le balcon, se protégeant comme ils pouvaient de la chaleur et des flammes. Sa femme aurait voulu aller chercher quelque chose dans la chambre pour mieux envelopper son enfant. Il n’a pas eu le temps de l’en empêcher.

Elle a disparu à l’intérieur ; il ne comprend pas comment on a pu la retrouver au rez-de-chaussée... 

Il était complètement choqué, le pauvre garçon ; on le serait à moins, là je vous rejoins à 100%, Monsieur Aulmesse. D’ailleurs, la cellule psychologique qu’on mobilise chaque fois dans de telles circonstances a été activée, comme on a coutume de dire, pour l’aider. Heureusement qu’il peut se raccrocher à la vie grâce au fait que son fils s’en soit sorti. 

Voilà, vous en savez autant que moi, je crois, à présent... Le... ? L’âge du gamin ? Euh, deux ans - deux ans et demi si je me souviens bien. Pourquoi ? Ah, d’accord - votre roman - bien sûr, bien sûr... 

Juan commence à piger ce qui a attiré l’attention de sa fille. Futée, la gamine ! Pour en avoir définitivement le cœur net, il lui reste une seule personne à voir...

 

 

Le père et son fils

 

Victor Kovacs et son très jeune fils Joseph sont hébergés à l’hôtel Le Fil de l’Air, depuis l’incendie qui a réduit en cendres leur domicile. Le nouveau propriétaire du fameux hôtel-restaurant leur a très généreusement proposé cette solution d’attente.

Juan a décidé de demander à Nilsi de l’accompagner pour ce qui sera, il en est déjà certain, l’ultime étape de son enquête personnelle sur le drame qui a tant intrigué sa fille. Il ne sait trop s’expliquer pourquoi, mais il lui semble que c’est indispensable. 

Il lui a d’ailleurs préalablement fait un retour circonstancié de ses précédentes interviews et, sans surprise, Nilsi l’a écouté avec attention, se contentant de conclure leur réunion par un énigmatique : 

- J’en étais sûre !

Juan a choisi de ne pas relever cette curieuse remarque, persuadé que l’entrevue à venir déliera enfin tous les fils encore entremêlés. Il a déjà une idée assez précise de ce que sa Nini a en tête, mais préfère ne pas aller trop vite en besogne.

Il est cinq heures passées quand Aulmesse frappe à la porte de la chambre 4. L’homme qui lui ouvre a une mine fatiguée, mais il se dégage néanmoins de sa personne une impression de calme et de sérénité, comme si tout ce qu’il venait d’affronter se trouvait déjà loin derrière lui. 

- Oui ? Que voulez-vous ?

- Bonjour Monsieur Kovacs. Juan Aulmesse... et ma fille Nilsi. Pardon de vous importuner, mais serait-il possible d’échanger avec vous sur ce terrible moment que vous venez de vivre ? Je sais, ça peut paraître étrange, mais nous pensons que nous pourrions vraiment vous aider...

Victor Kovacs semble hésiter un instant, soupire comme si un poids lui était soudainement ôté, et ouvre la porte en grand, invitant ses deux visiteurs à entrer dans la chambre. Le petit Joseph se tient debout dans un lit-parapluie prêté par des voisins compatissants et les regarde sans crainte apparente, droit dans les yeux. 

Cela semble inhabituel à Juan, pour un enfant de cet âge (sa taille et sa corpulence semblent confirmer ce que lui a dit le Capitaine : deux ans – deux ans et demi). Pas pour Nilsi, qui sans rien demander au père, se dirige aussitôt vers l’enfant et se met à lui parler, à voix basse.

Le garçon écoute, comme subjugué, la jeune fille... tout en lui souriant, apparemment confiant.

Kovacs et Juan ne parlent pas. Tous les deux semblent fascinés par cet échange dont ils sont exclus. C’est Juan qui décide de laisser faire sa fille de son côté et, se tournant vers son hôte, de le questionner :

- Victor – je peux vous appeler Victor ? Moi, c’est Juan, d’accord ? Victor approuve d’un bref hochement de tête. 

Dites-moi comment ça s’est passé... vraiment, vous voulez bien ? Ma fille et moi, nous savons... nous avons compris que l’aigle n’y était pour rien, dans ce sauvetage. Alors ? Pourquoi ce conte pour enfants ?

Victor fixe Juan, cherchant de toute évidence à savoir si son curieux visiteur bluffe ou sait vraiment quelque chose. Et puis, il se décide et se lance, comme soulagé de pouvoir enfin tout raconter à quelqu’un qui ne semble pas animé de mauvaises intentions, à son égard comme à l’égard de son petit bonhomme :

- Vous avez vu juste, Monsieur, pardon, Juan ! 

- Ce n’est pas moi, vous savez, c’est ma fille qui a compris la première ! Pardon, je vous ai coupé...

- Votre fille ? Alors, elle est aussi intelligente que jolie. Bravo, Mademoiselle ! lance Victor en direction du lit parapluie, les deux enfants continuant de se parler dans une totale indifférence à la présence des deux adultes.

Je ne sais pas comment elle a compris, je me doute, remarquez bien...

- L’âge de votre fils, son poids donc... coupe une nouvelle fois Juan, si fier de montrer à Victor les qualités déductives de sa Nini qu’il n’a pu se retenir.

- Oui ! Trois ans passés, déjà... 

- Ah ! plus encore que je ne croyais, pense Juan. 

- Oui, votre fille a raison, jamais un aigle, aussi grand soit-il, ne pourrait supporter le poids de mon petit Jo. Et pourtant, il n’est pas bien costaud, le pauvre chou ! » 

Victor tourne une nouvelle fois son regard vers les jeunes bavards, là-bas, à l’autre bout de la chambre.

Juan distingue une larme, au coin de l’œil de ce père qui a choisi de se confier à deux inconnus.

- Vous vous demandez : pourquoi alors inventer une telle fable ? Simple : le détournement de l’attention ; comme les prestidigitateurs ; mieux encore : une perche qu’on tend à tous ceux qui n’ont qu’une envie, celle de la saisir. En racontant mon histoire, et en étant assez crédible, par mon métier, pour qu’elle soit crue, j’ai empêché les enquêteurs, qu’ils soient gendarmes, journalistes ou voisins trop curieux, vous savez, du genre de ceux qui se prennent pour Hercule Poirot, de chercher une autre explication. Enfin, apparemment, je ne les ai pas tous trompés, les détectives du dimanche, puisque vous êtes là... Sans offense, hein ?

- Je ne suis pas susceptible, rassurez-vous ! croit bon de répondre Juan.

- Tant mieux, tant mieux ! Victor poursuit son raisonnement : lors de la reconstitution, j’en ai même rajouté en prenant soin de fournir aux gendarmes la poupée enveloppée d’un drap. 

La même corpulence que mon fils, ai-je dit sentencieusement, avec le ton du fauconnier professionnel sûr de lui. Et tout le monde a gobé ça. 

Le poids ? Personne n’a tiqué ; il y a tant de fables dans l’imagerie populaire.

Des aigles qui volent des moutons, même des vaches dans certains documentaires prétendument sérieux, à défaut d’être savants ... 

Et le drap ! Un joli détournement d’attention, là-aussi ; pourquoi les serres de l’aigle n’ont pas blessé plus gravement le petit et qu’on a trouvé sur son corps seulement des hématomes ? Grâce au drap, bien sûr !!! Victor finit sa tirade par un soupir. Il n’est à l’évidence par fier de ce qu’il vient de raconter. Il a simplement voulu être précis, comme pour rendre son aveu définitivement crédible, grâce à la rigueur de ses explications. 

Et maintenant, la réponse à votre seconde question, celle qui va décider de mon sort... n’est-ce pas ?

Juan acquiesce d’un bref mouvement de tête, sentant qu’il faut à cet instant crucial rester silencieux.

- Que s’est-il réellement passé, ce soir-là ? Je vais vous le dire et, ensuite, vous choisirez ou non d’aller raconter ça au Capitaine Renaudon. Je crois bien que, là, maintenant, cela m’importe peu. Joseph est vivant, il ne risque plus rien, enfin rien de grave, alors mon sort à moi... Kovacs laisse le silence qui suit sa déclaration s’installer, voulant marquer ainsi une sereine résignation.  

- Ce soir-là, disais-je, je suis rentré du boulot un peu plus tôt que d’habitude. Oui, depuis quelques mois, les soins des animaux, au Parc, après les représentations de dressage, c’était une bonne excuse...

Une bonne excuse pour ne pas avoir à passer trop de temps en tête à tête avec ma femme. 

Après la naissance de Jo, petit à petit, son caractère a changé ; pourtant, au début, tout semblait aller bien. Mais après le deuxième anniversaire de notre fils, d’un coup, elle est subitement devenue plus renfermée puis, de mois en mois, plus irritable, comment vous dire, plus agressive. Je n’ai pas compris pourquoi. Quand je tentais de lui dire, ça devenait pire encore, elle criait, Joseph se mettait à pleurer, alors, j’ai été lâche, j’ai décidé de me réfugier dans le travail, en me disant que si j’étais moins présent, ça la calmerait. Je pensais aussi que j’étais responsable de son humeur, qu’elle ne m’aimait plus, tout simplement, mais qu’elle n’osait pas me l’avouer, d’où sa colère mal gérée... Bref, l’autre soir, toute l’équipe du Parc allait prendre un pot pour fêter la fin de saison. N’ayant pas le cœur à ça, j’ai choisi de quitter les collègues et de rentrer chez moi.

Elle ne m’a pas entendu rentrer. Elle criait sur Joseph qui pleurait devant son assiette, mais surtout, elle lui donnait des coups de poing sur le côté. Tu vas manger maintenant ? Tu vas manger ou je te fiche au lit direct ! Elle criait, elle frappait... La petite poêle était encore sur les plaques, je l’ai saisie...

Victor s’arrête, comme s’il lui était impossible d’en dire plus, se revoyant, l’ustensile brandi au-dessus de la tête de sa femme lui tournant le dos, trop occupée à cracher son absurde colère. 

- Elle s’est écroulée, finit-il par murmurer, son regard bleu clair fixant Juan, comme halluciné, ailleurs. 

Puis il secoue la tête, pour tenter de chasser les images de son cauchemar et, redevenu ainsi plus calme, finit son terrible récit. Après, pour moi, tout est devenu simple. J’ai allongé ma femme sur le carrelage de la salle à manger, j’ai basculé une armoire sur elle, j’ai mis le camping gaz sur les plaques que j’ai rallumées. 

La coupure EDF ? Elle n’avait pas duré et j’ai tout de suite eu l’idée que cette courte panne pouvait me servir - oui, pour justifier l’incendie ! J’ai déposé Joseph dans l’herbe pas très loin en dessous du balcon de sa chambre, entouré d’un linge - ça expliquerait que les serres de l’aigle l’aient marqué sans le blesser, rapport à ses bleus sur le côté, à mon pauvre petit bonhomme - je suis remonté sur ce même balcon, et j’ai attendu. Le feu a pris comme je pensai, c’était terminé. Le petit Joseph ne souffrirait plus, je prenais tout sur moi, vous comprenez ?

Juan comprend. Nilsi, elle, a tout compris depuis longtemps ; elle a parlé avec Joseph qui, avec ses mots d’enfant, lui a tout confié de ses terreurs, de son attachement à sa mère, malgré tout ce qu’elle lui a fait endurer, de sa tristesse et de sa culpabilité de môme qui ne comprend pas pourquoi tout ça lui arrive...

Nilsi sait encore parler avec des plus petits qu’elle ; elle n’est pas encore assez adulte pour avoir oublié comment faire. La jeune fille regarde Victor, droit dans les yeux : - Il va falloir le dire aux autres, Monsieur Victor, dit-elle, avec douceur. Et Victor sait que la sentence vient d’être prononcée et qu’il s’y soumettra. Qu’importe ! Joseph est à l’abri, maintenant, puisque Juan va désormais prendre le relais avec sa belle et douce fille et offrir du réconfort puis de la paix à son petit. Victor a lu dans les yeux de Juan qu’il s’y engagerait. Il en a eu la certitude dès que Juan, pour justifier sa venue, lui a dit : nous pensons que nous pourrions vraiment vous aider. C’est pour cela qu’il lui a ouvert sa porte, puis son cœur. Nilsi, quant à elle, se promet qu’un jour elle sera une grande policière et qu’alors, elle démasquera des coupables... mais ne les livrera sans doute pas tous à la justice. En tout cas pas ceux qui ôtent la vie à des bourreaux, des pervers comme son père biologique à elle. Elle n’a rien oublié. Ce sera aussi le cas pour le petit Jo. Même longtemps après. Heureusement pour elle et pour Joseph, P’pa Juan sera près d’eux. Songeuse, elle regarde la campagne et sa beauté printanière par la fenêtre de la chambre 4. Cette ouverture dessine, derrière le lit parapluie depuis lequel le petit Joseph lui sourit, un véritable tableau vivant. Nilsi, à cet instant, voit dans le ciel orange et bleu de cette fin de journée l’aigle royal de Victor Kovacs, qui exécute, vol majestueux, des grands cercles au-dessus de leurs têtes. En guise d’Au revoir ?

 

 

L'oiseau

Une nouvelle pour Marceau, avec tout mon amour pour ce petit bonhomme qui deviendra grand...


Comme un aigle...

 

Il vole !!! Dans un grand éclat de rire, il est monté vers le ciel. Le ciel du salon. Son Grand-père le tient à bout de bras par la taille et l’encourage :

- Agite tes ailes, Marceau ! Tu es un aigle et tu vas bientôt toucher le plafond ! Ouiiiii ! Tu le touches ; continue ; bats l’air avec tes bras. Et maintenant, un virage et on pique vers le sol ! Wahouou ! Tu es un aigle ! Marceau vole et... repart vers le ciel. 

- Touche le ciel, Marceau, vas-y, touche le ciel !!!

Marceau éclate d’un rire qui semble inextinguible. Un de ces rires d’enfant, irrésistibles, contagieux. Ses bras font de grands cercles dans l’air de la pièce. Marceau a « chopé » le coup !  Mais déjà le ciel s’éloigne et il replonge à nouveau. Il sent le vide qui l’attire vers le sol où son Grand-père le redépose enfin. Marceau a deux ans à peine. Marceau est un aigle qui vient d’apprendre à voler. Et ça lui plait !!!

 

 

Comme un ange...

 

La fête du vent bat son plein. Un immense et majestueux bouquet de cerfs-volants remplit le ciel. Répartis sur toute la surface de la grande prairie de bord de mer qui les accueille aujourd’hui, les pilotes de ces semblants d’aéronefs de tissus légers ou de papier aux couleurs vives sont tous des enfants, même si certains ressemblent à des adultes. Leurs rires, leurs regards brillants et leurs cris de joie en démentent l’âge. Oui, vraiment, seulement des enfants, aujourd’hui, à la fête du vent !

Marceau est l’un d’eux. Il est arrivé déguisé, comme l’organisateur de cette joyeuse manifestation l’a proposé aux participants. Sa Grand-mère, sa « Mimi », lui a confectionné des ailes en carton plume qu’elle a sanglées par-dessus son sweat bleu marine :

- Comme ça, ce sera plus facile à mettre ou à retirer, si tu as trop chaud ! Mimi pense à tout...

En arrivant sur l’étendue d’herbe rase griffée par un petit vent bienveillant, particulièrement propice aux figures acrobatiques des cerfs-volants les mieux dirigés, Marceau a couru pour que son losange de toile légère, décorée d’un splendide phénix bleu sur fond jaune citron, prenne son envol. Il a senti alors le vent prendre dans ses ailes blanches. Sensation indescriptible, merveilleuse. Il a cru un instant qu’à son tour, il allait décoller. Sourire radieux. Félicité enfantine. 

Sans plus se préoccuper de son cerf-volant qui d’ailleurs n’a besoin de personne pour flotter haut dans les petits airs qui peignent la prairie, Marceau court pour, peut-être, réussir à rejoindre le phénix bleu. Marceau a cinq ans révolus. Marceau ressemble à un ange. Et il rêve de pouvoir un jour voler.

 

 

Comme un oiseau...

 

L’instructeur arrive à sa hauteur. Comme pour les autres novices, par ailleurs tous parachutistes émérites, il vient vérifier qu’aucune faute n’a été commise ; fixation ferme des sangles du harnais de parachute, ajustement parfait sur le corps de la combinaison de vol en textile lycra et nylon de haute technologie, présence du déclencheur, jugulaire du casque bien serrée, lunettes en place...

- OK, c’est bon, Marceau ! Après Phil, ce sera à toi. N’oublie pas de pousser le plus fort possible sur tes jambes juste avant le grand plongeon. Le secret d’un bon Base jump, c’est sûrement ça, mon pote, s’écarter un peu de la paroi verticale grâce à une bonne poussée...

Le Base jump, c’est la version ultime des sauts en wingsuit. Les hommes-oiseaux s’envolent depuis un point très élevé, ici le fameux « spot » vénézuélien nommé Les chutes de l’ange, avec un vide vertigineux qui vous happe en un dixième de seconde.

Le grand frisson ; adrénaline garantie pour un risque maximal. 

Une petite course est possible sur le terrain en pente, juste avant le grand saut. Marceau s’élance donc et arrivé au bord, il pousse, du plus fort qu’il peut. La cascade verticale, de plus de 900 mètres de hauteur lui promet ce creux au ventre qu’il a tant souhaité éprouver. Mais c’est autre chose de plus fort encore qui se produit. Marceau, à l’instant même où il bascule dans la chute, ressent comme deux mains qui le saisissent à la taille, puis une drôle de résistance à l’air, là, dans son dos. 

 

Des bras qui le soutiennent, des ailes qui le portent... 

 

Marceau a vingt ans. Par la grâce de ses souvenirs de môme, Marceau est redevenu un aigle, un ange ; il est oiseau...

 

 Il vole !!!